« Les combats se déroulent de la Somme aux Vosges… » Ce communiqué tout simple a enflammé l’opinion publique. Tout le monde avait tellement cru les multiples déclarations de victoire de l’état-major que cet aveu officiel et bien tardif de la très mauvaise posture de nos troupes fait sensation. Non, nous ne sommes pas à Berlin ou presque ; non, nous n’avons pas été victorieux lors de la bataille des frontières ! Et l’ennemi s’est engouffré en France, par la Belgique, appliquant presque à la lettre le terrible plan Schlieffen programmé pour réduire à néant nos défenses en quelques semaines.

Il faut l’avouer, piteusement : Paris est maintenant menacé. Chacun tremble que le drame de 1870 ne se reproduise : siège de la ville, privations, troubles puis guerre civile, humiliation nationale enfin…
J’ai demandé à ma femme de quitter Paris, avec les enfants, pour rejoindre mes beaux-parents à Versailles où ils résident rue Hoche. Je sens cette ville de garnison plus sûre et je pense que l’on peut s’y approvisionner en vivres plus facilement qu’à Paris avec les fermes et les champs à côtés, juste après la ville du Chesnay ou Saint-Cyr. Pierre de Nolhac me promet aussi de veiller sur mes êtres chers. Il les a cueillis à la gare de Rive Droite avec son automobile de fonction qui est une des rares, sur place, à avoir encore de l’essence.

Depuis l’Elysée, nous avons coordonné, ces jours derniers, le remaniement ministériel, en liaison avec le président du Conseil Viviani. Moment éprouvant, plein de rebondissements, de portes qui claquent et de mots qui frappent. Clemenceau et Poincaré un temps réconciliés se sont de nouveau fâchés, à mon grand désespoir.
Nous avons intégré, tant bien que mal, dans le ministère, des représentants de presque tous les partis de l’Union sacrée. On retrouve ainsi Jules Guesde et Marcel Sembat qui apportent le soutien de la SFIO.
Mes deux rêves ne se sont en revanche pas réalisés : faire rentrer Clemenceau (qui souhaitait la seule présidence du Conseil ou rien) et virer ce nul de Viviani. Nous nous en tenons à une équipe – a priori – plus professionnelle que la précédente : Briand est vice-président du Conseil et Messimy quitte enfin ce ministère de la Guerre où il ne cessait de perdre son calme et d’avoir des différents avec Poincaré ou le général en chef Joffre. On regrette au Palais le retour de Delcassé aux Affaires étrangères. Poincaré a eu ce mot cruel le concernant : « Cet homme odieux croit que tout le monde l’attend ! »
Je reçois ce jour le général Gallieni. Le nouvel et énergique gouverneur militaire de Paris promet de défendre la capitale face à des Allemands que rien ne semble pouvoir arrêter. Il presse le gouvernement de quitter Paris pour Bordeaux où il sera plus en sécurité. Mon patron Poincaré, malgré l’insistance de Joffre lui-même, refuse et veut demeurer parmi les Parisiens, jusqu’à la dernière extrémité : « Je ne peux les abandonner et je vais partager toutes leurs souffrances ! »
Donc, je reste… Et je partage aussi.

Gallieni, en poste depuis le 27 août, sait déjà que l’on ne pourra pas refaire le coup du Camp Retranché de 1870 et qu’il faudra se battre devant Paris (au nord et/ou à l’est) si on veut vraiment tenter de repousser les allemands. C’est pourquoi il est impératif que Joffre et French, le chef du corp expéditionnaire britannique, stoppent le mouvement de retraite au-dessus de la Seine et non pas en-dessous comme Joffre en tout cas en a l’intention, afin selon ses plans de regrouper la IV et Vème armée (la meilleure) en vue d’une contre-offensive.
Il est le n°2 théorique de l’armée française puisqu’il a été stipulé qu’il remplacerait Joffre si celui-ci n’était plus en état de commander l’armée française, mais ne dispose pas d’armée en propre et est obligé de quémander sans cesse troupes et matériels auprès de l’état-major général. Cependant il se dit que Joffre pourrait sous peu lui mettre à disposition une nouvelle armée à créer avec les réserves non-encore utilisées.
Les jours à venir seront décisifs sur le sort de Paris et sur la tournure que va prendre cette guerre. On va voir si le toujours victorieux officier des guerres coloniales (africaines et asiatiques) est à la hauteur de cette situation très critique pour le pays.
Bye
Olivier Stable
J’aimeJ’aime
Philippe Berthelot et sa femme n’ont pas eu de postérité.
J’aimeJ’aime