« Il faudrait un terme qui invite fortement au rassemblement… » Je me rappelle encore mon patron Raymond Poincaré, la plume à la main, rédigeant avec mon aide, ce qui allait devenir son fameux discours à la Chambre du 4 août dernier. Il souhaitait, en ce soir du 3 août, assis à son bureau de l’Elysée, que toutes les forces du pays – politiques, syndicales, spirituelles – oublient leurs querelles et se regroupent dans un même effort de défense de notre patrie menacée.
Je lui suggérai alors le mot « union ». « Bof » me répondit-il, « c’est un peu synonyme de rassemblement. Non, non, Olivier, il faut imaginer quelque chose de plus fort, de plus solennel. Un terme peut-être encore peu employé mais qui aura ensuite une résonance extraordinaire… ».
Je passai en revue dans ma tête tous les vocables pouvant correspondre peu ou prou à l’idée de Poincaré : rassemblement, union, regroupement, ralliement, rencontre, fusion, alliance, entente… ? Aucun ne semblait devoir prendre sa place dans ce futur et très attendu discours qui allait être lu par Viviani aux parlementaires.
A un moment – je ne sais pourquoi – je me suis rappelé le tout nouvel opéra « Parsifal » que l’on avait enfin pu voir à Paris, début janvier, sous la direction d’André Messager. Cette ambiance moyenâgeuse et pieuse de chevaliers réunis autour du Graal, m’a conduit, d’un coup, à la formule magique «union sacrée ». J’hésitai un instant pourtant avant de la proposer à Poincaré. Peut-être allait-il la trouver trop peu laïque à son goût ? Ou excessivement solennelle voire pompeuse ?
Finalement, je lâchai le terme, d’une voix peu assurée. Poincaré m’a alors fixé avec des yeux beaucoup plus expressifs que d’habitude : « Eh bien voilà, « Union sacrée » , c’est le mot qu’il nous faut. Cela donne donc la phrase :
Dans la guerre qui s’engage, la France […] sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l’ennemi l’Union sacrée.
C’est fort, très fort, indiscutablement. Bravo Olivier ! Je savais que je pouvais compter sur votre imagination».
Je n’osai lui dire que le vocable m’était venu en pensant à… un opéra allemand !
Dix jours après, en lisant la presse française et étrangère, je m’aperçois que le terme «Union sacrée » produit son petit effet. Il est repris un peu partout, par les socialistes, par la droite républicaine, par les radicaux… En Angleterre ou au États-unis, les mots « Union sacrée » sont cités tels quels, en français dans le texte, autant pour décrire notre situation politique nationale qu’en faisant référence à un éventuel contexte plus local.
Seuls les Allemands s’en tiennent, évidemment, pour décrire le nécessaire rassemblement des partis autour du Kaiser et du chancelier Bethmann, à une formule de la langue de Goethe : « Burgfrieden » disent-ils. Cela veut dire « paix civile », en français.
« Burgfrieden » ? Force est de reconnaître que c’est bien moins percutant que notre «Union sacrée » ! Dans la guerre du verbe, je suis sûr que nous sommes en train de gagner une bataille !



Voici comment Raymond Poincaré décrit ce moment (l’effet de son discours à la chambre) à la toute fin de son livre *Les Origines de la guerre* (1921).
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(…) séance magnifique, dont j’eus immédiatement les échos par les membres du gouvernement. Ils en étaient tous sortis avec une indicible émotion et ils me répétaient: « Que n’avez-vous pu être là, comme nous ? On n’a jamais rien vu de si beau en France ! »
L’union sacrée, à laquelle j’avais fais appel, avait, en effet, spontanément jailli de tous les cœurs et devant l’abominable agression dont elle était l’objet, la France s’est immédiatement trouvée prête à tous les efforts, à toutes les vertus et à tous les sacrifices. (….)
extrait pp.281-282
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Bye
Olivier Stable
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