C’est au moment du passage de la bête dans la presse à canard que j’ai failli tourner de l’œil. Dîner éprouvant hier soir, à la Tour d’Argent. Tout ce que je n’aime pas. Du grand monde exigeant une attention et une attitude irréprochables : Le président du Conseil Aristide Briand, la grande duchesse Wladimir, grand-tante du tsar, l’ambassadeur de Russie en France Iswolski et trois collaborateurs, le ministre des affaires étrangères français Stephen Pichon.
J’étais là parce que les diplomates russes m’apprécient et je suis le seul à connaître un peu leur langue (même si, entre eux, comme le reste de la noblesse de ce grand pays, ils ne parlent que français).
Le grand chef ombrageux Frédéric Delair découpe le fameux canard au sang – numéroté s’il vous plaît – à la Tour d’Argent
Le repas a commencé par un incident inattendu. Le grand chef aussi autoritaire que prestigieux Frédéric Delair n’a pas apprécié de voir la grande duchesse parler pendant la dégustation du potage. Avec une brusquerie qui m’a fait sursauter, il s’est approché, furieux, et lui a retiré le plat des mains en s’exclamant : « Votre Altesse, quand on ne sait pas manger un tel mets, avec un profond respect, on ne se permet pas d’en demander ! » Nous étions au bord de l’incident diplomatique. Briand est devenu cramoisi, Iswolski a marmonné un juron russe dans sa barbe. Heureusement, seule la duchesse a su garder contenance et a répondu, du tac au tac, avec un grand sourire : « Monsieur Delair, en attendant, permettez-moi de garder au moins mon pain. Que je déguste en silence une tartine… puisque je suis punie ! »
Puis la conversation a roulé de manière convenue sur les vertus de la Triple Entente, la beauté comparée de Saint Pétersbourg et de Paris sous la neige, la beauté des bijoux Cartier ou les qualités des différents grands hôtels de la capitale. Pendant ce temps, le célèbre canard au sang – numéroté s’il vous plaît – était préparé sous nos yeux. Un « canardier » a pris l’animal et l’a enfourné dans la presse en argent. Le bruit des os se broyant, le sang chaud giclant vers le plat en sauce, l’ambiance faussement détendue : tout cela a fini par me faire pâlir. Le souffle court, les jambes molles, la bouche pâteuse, je me suis mis à avoir très chaud. A ce moment, le chef Delair nous expliquait avec force détails les avantages de l’électrocution des canards par rapport à toute autre forme de mise à mort : « Ainsi, mes bêtes qui viennent toutes de Challans en Vendée gardent leur goût intact ! »
La presse à canard
Briand qui m’aime bien a vu mon malaise et m’a glissé : « Olivier, je vous prie d’aller me chercher mes notes pour que je puisse rejoindre directement la Chambre, en évitant le bureau, demain matin. » Sans demander mon reste et après m’être incliné bien bas, j’ai quitté la table et suis sorti dans le grand air de la rue longeant Notre-Dame.
J’étais sauvé et libre. Loin des canards au sang et du mauvais caractère du chef Delair !
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A La Tour D’Argent ils en sont à quel numéro question canard?
Depuis 20 ans Mr Delair, dit Frédéric le Grand de Paris, donne un certificat numéroté pour chacun de ses canards. Nul ne sait qui est le possesseur du n°1, mais certains sont fort connus, comme le n° 328 du Prince de Galles en 1890 ou le n° 6 043 en 1900, du grand duc Wladimir (le mari de votre indélicate duchesse). En tout cas, en cette année 1910, le succès aidant, on s’approche déjà du n° 30 000.
Frédéric Delair que certains comparent à Ibsen pour sa manière de disséquer le canard un peu à la manière du grand dramaturge norvégien sondant les profondeurs de l’âme humaine, a pu même titiller l’inspiration de poètes, certes pas forcément de premier plan, tel le marquis Lauzières de Thémines.
Extraits
« (….) Là d’un canard, dont reste la carcasse,
Dans une boite, on la broie, on la moud.
Un rude engin l’écrase, la concasse.
Il es résulte un jus exquis au goût.
Après avoir taillé maintes aiguillettes.
Servi, cuisse, aile, ôte la peau du dos.
Loin de jeter aux toutous le squelette,
La tour d’argent tire parti des os…
(…..)
Ce que je fais n’est pas une réclame,
Je vous le dis pour être obligeant.
Je m’en voudrais d’encourir votre blâme
Pour avoir trops vanté LA TOUR D’ARGENT. »
Bye
Olivier Stable
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Un tel met? voilà qui est bien singulier. Rajoutez-lui un s : il sera mieux présenté et ne remplira pas plus votre assiette. Dans mon souvenir, qui date de 1980, ce mets réputé délectable ne cassait pas quatre pattes à un canard. Mais la visite privée de la cave en la compagnie d’Emile Peynaud reste un grand souvenir.
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Et bien, dites donc, en 1910, il ne vaut pas mieux inviter les invités diplomatiques à la tour d’argent…
J’espère que son altesse aura eu une réduction…
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Quand les canards vont deux à deux
C’est qu’il ont à causer entr’eux,
Les passants n’y comprennent rien, mais eux, malins, ils s’entendent bien.
Ils s’disent des jolis riens
Couin, couin, couin couin,
Refrain:
Quand c’est des canards tyroliens,
Tra ou la ou la ou,
Tra ou la ou la ou,
Tra ou la ou la ou,,
Couin, couin, couin, couin,
Quand c’est des canards Tyroliens
Tra ou la ou la ou,
Tra ou la ou la ou,
Tra ou la ou la ou la la ou,
Tra ou la ou la ou la la ou,
Couin couin couin.
Quand les canards s’en vont trois par trois,
Ca donne à penser aux bourgeois;
Qu’il fait un vrai temps de canard,
Ou bien deux canards par hasard,
Ils s’did’comm’ça des jolis riens,
(refrain)
Quand les canards s’en vont en tas,
Ce qu’ils font nous regarde pas,
Ils ne s’occupent pas de notre société,
Mais qu’on leur laisse leur liberté!
Qu’ils se disent des jolis riens,
(refrain)
(version quasi-inaudible de 1895 à l’appui: http://chanson.udenap.org/fiches_bio/theresa/enregistrements/rozic_canards_tyroliens.mp3)
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La vraye recette du canard au sang
Le barbare ayant éclusé sa canette,
est parti dans le rire et les cris
se saisir par la patte, par la tête,
de la Canette de Barbarie.
Le sang lui montait a la tête,
et en effet, c’est bien connu,
ils peuvent courir, le corps perdu,
même raccourcis à l’échine,les oiseaux destinés au menu…
La peau étant beaucoup plus tendre
lorsqu’on les a plumés a vif,
ils se sont mis à les déprendre
de leurs duvets, avant de passer le canif
Pas de risque avec les volailles
de se heurter à des manifs !
Dans un hangar de Cornouailles,
j’en ai vu terroriser mille
avec le plus simple babil..
Il est même certains pays, d’honorables nations,
pour faciliter la plumaison, la rendre a plaisir plus facile,
on passe un peu le volatile
au baquet d’eau mis en ébullition.
Son corps encore tiède, et vidé des entrailles,
est ficelé, ses pattes dans le dos,
pour préparer ses funérailles ;
le plat creux, pauvre bière, est placé au fourneau.
Allez, vous voyez, je rigole, je m’égare ;
le Véritable canard au sang n’a pas
perdu une hématie dans le combat
qui à conduit a son trépas.
On l’a simplement étouffé pour mourir :
comme ça, s’il n’est pas hallal,
ce qui en soi n’est pas banal,
on ne l’a pas senti gémir.
Et comme le loup du poète,
il est parti sans un seul cri,
qu’après un grand repas de fête
vous pourriez, au hasard, entendre dans la nuit.
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Ce canard se fait du mauvais sang
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