19 mai 1910 : Bretons contre Normands, la guerre du beurre

« Du beurre, nous en mettons partout : sur les tranches de pain du déjeuner, avec le fromage, abondamment sur les tartes et dans les gâteaux ou en accompagnement des fruits. Nous en raffolons. » Michel le Ploudec représente ses camarades producteurs de beurre breton et il n’est pas content.

 » La République nous lâche ! « 

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Les Bretons pensaient que leur beurre resterait une référence de qualité et qu’ils demeureraient les principaux producteurs en Europe pour longtemps. Il n’en est rien. Les Britanniques se détournent de leurs mottes et font maintenant leurs tartines avec du beurre danois ou hollandais moins cher et moins salé à leur goût. Et en France, on observe la montée en puissance des Normands et des Charentais qui font aussi un produit plus doux. Le Ploudec reprend :

« Nos vaches pie-noire produisent le meilleur lait et nos fermières barattent la crème avec talent. Elles la battent avec leur ribot dans des pots de grès avec des gestes nobles et ancestraux. »

Je ne sais que dire à mon interlocuteur. En 1897, nous avions déjà fait voter un loi protégeant le vrai beurre, comme appellation, contre la margarine, jeune produit industriel à la composition douteuse et aux qualités alimentaires discutables. Je ne vois guère ce que nous pourrions faire de plus. Je me risque à quelques questions :

« Êtes-vous sûrs de la qualité de tous vos produits ? Les règles d’ hygiène sont-elles respectées dans toutes les étables : lavage des sols, des seaux et des mamelles ? Les mauvaises langues prétendent que le sel abondamment utilisé dans le beurre breton vient de votre crainte de le voir devenir rance rapidement et n’a rien à voir avec un objectif gustatif ? Et si les autres régions peuvent en partie se passer de ce sel conservateur, cela viendrait de méthodes de fabrication plus fiables… »

Michel le Ploudec ne se vexe pas et sourit. Il sort de son grand sac un pot en grès garni de beurre à ras bords. Il tranche avec son couteau une large tartine de pain en faisant attention de ne pas trop envahir mon bureau avec des miettes. Puis, avec délicatesse, il la beurre abondamment et me la tend, sûr de son effet.

Silencieusement, j’avale une bouchée ou deux. Je mâche lentement et péniblement. Le beurre est âpre au palais et son odeur forte. Le matin de bonne heure, cela me soulève le cœur. Ne souhaitant pas finir la tartine, je me vois obligé de donner le change à mon interlocuteur :

« C’est excellent en effet. C’est fin et cela se mange sans faim. Je vous promets de parler de votre beurre au plus au niveau de l’État et de faire en sorte de soutenir votre production. « 

Michel le Ploudec paraît satisfait de ma réponse et ajoute :

« C’est dommage, si j’avais su que vous alliez apprécier à ce point, j’aurais aussi amené des galettes de blé noir que nous aurions dégustées avec du lait de beurre. Vous auriez vu, c’est excellent ! »

Je réponds, urbain : « Quel dommage en effet, cher monsieur. Quel dommage, vraiment… Une prochaine fois, une prochaine fois… » Et je raccompagne mon interlocuteur jusqu’à la porte du ministère en essayant d’être affable et enjoué jusqu’au bout.

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