« Votre argot reste incompréhensible ! Je vais vous citer deux exemples. Pourquoi dites-vous à tout bout de champ : Ohé, Lambert ! Ou – et cela vous fait bizarrement rire – On dirait du veau ! » J’écoute attentivement Barret Wendel, professeur américain venant dîner à la maison, amoureux de la France, qui a décrit notre pays dans son livre « The France of Today .»
A la sortie du lycée Condorcet, nous nous interpellions entre camarades, par des « ohé Lambert » aussi bruyants qu’incompréhensibles pour chaque passant du quartier.
J’avoue avoir un peu de mal à lui apporter des réponses satisfaisantes. « Ohé Lambert » date plutôt de la fin du Second Empire. On le criait dans la rue quand on était étudiant ou en permission pendant le service militaire. Cela avait surtout son petit effet quand on croisait des policiers ou des gendarmes. Un cri séditieux ? Une moquerie vis à vis des autorités ? Une marque de dérision ? Nul ne sait trop.
Je m’entraîne à prononcer à nouveau ces mots un peu idiots et me retourne vers mon fils aîné Nicolas, 14 ans, et lance, en lui tapant dans le dos, un : « Ohé Lambert ! » bien senti. L’adolescent me regarde un peu ahuri : « Père, je n’ai jamais entendu une expression pareille, aussi surannée. » Ne voulant pas perdre contenance, je rétorque : »On dirait du veau !». Nicolas part alors d’un franc éclat de rire, entraînant dans son sillage Barret Wendel. « Mais ce sont des termes complètement oubliés ! Dans ma classe, ce que nous disons est autrement espatrouillant ! » Je me plonge dans mon assiette, un peu décontenancé. C’était pourtant bien de ponctuer ses moqueries sur toute chose par un « on dirait du veau », jeté négligemment. Cela donnait le sentiment que l’on était « dans le vent ».
Nicolas conclut notre échange par une locution toute nouvelle que je vais me dépêcher d’employer auprès de mes collègues de bureau: « Mon cher Papa, j’ai le regret de vous dire que votre expression est complètement tombée… en quenouille ».
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Chers lecteurs
Aujourd’hui, ce site atteindra sa millionième visite. Chiffre rond et énorme pour un rédacteur qui ne pensait pas, à la création de ce journal, il y a deux ans et demie, que la Belle Epoque pouvait intéresser autant le public d’aujourd’hui.
Ce chiffre symbolique est un encouragement à continuer de vous divertir, sans prétention, avec cet « Olivier le Tigre » qui ne cesse de nous faire des clins d’oeil de son lointain passé.
Merci à l’équipe du Monde qui sélectionne ce journal, merci à mon éditeur qui a souhaité reprendre l’esprit de ce travail pour en faire un livre et merci à vous pour vos commentaires écrits, vos interpellations, précisions…. et votre humour.
Comme vous pouvez le constater, nous construisons ensemble tout un décor d’une pièce de théâtre gigantesque qui va aboutir à la Grande Guerre, un tableau impressionniste jamais terminé dont on recule chaque jour les bords. Cela se fait par petites touches répétées, en abordant toutes les disciplines, en variant les angles d’approche (le monde professionnel, la diplomatie, les arts, les faits divers, la famille, le public ou l’intime, les gens célèbres et les anonymes….) et en restant toujours un peu « léger » pour ne pas lasser. Derrière ce décor, rassurez-vous, il y a toujours un gros travail de documentation… complété par un effort d’écriture. Je vous le dois.
La récompense de ces efforts, tôt le matin avant de partir pour mon vrai bureau et tard le soir quand les enfants sont couchés, c’est en bonne partie vos visites, de plus en plus nombreuses.
Un million… j’en suis tout ému.
L’auteur.