23 février 1910 : L’amour avec la bonne

« Le grain de sa peau m’affole, son regard riant m’enchante, la forme de ses seins semble appeler les caresses d’une main experte… »

J’interromps Jules, rédacteur de première classe, détaché au cabinet et placé sous ma responsabilité : « Calmez-vous mon vieux, si votre femme vous entendait ainsi parler de votre bonne… »

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Le pauvre collègue s’est empêtré dans une bien triste histoire. Il couche avec l’unique domestique au service de son foyer. Deux ou trois fois par semaine, il ferme discrètement la porte de son appartement du premier étage de la rue Monge et monte, souvent en courant, vers le sixième qui abrite la chambre de Marguerite, sa jolie servante bretonne.

Cette fille de la mer contrôle savamment les vagues de sa passion, le flot de ses assauts répétés et fait marcher au pas notre pauvre fonctionnaire qui quitte son statut de chef de famille lorsqu’il se jette à ses pieds à la recherche de faveurs sensuelles.

La maline ! Chaque frôlement se paie cher, les attouchements sont dûment et lourdement tarifés et la « totale » n’est accessible qu’en début de mois, quand la paie vient d’arriver.

Marguerite s’exclame en gloussant : « Cinquante francs, mon Jules, c’est bien peu, comparé aux ennuis que vous aurez si je raconte tout à Madame! » Et mon pauvre collaborateur de se traîner à ses pieds, de lui embrasser ses souliers en caressant le bas des jambes avant qu’elle ne le repousse en riant, ne faisant qu’augmenter son désir.

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Les pièces voire les billets de banque remplissent la tirelire de la chambre lorsque notre homme redescend, le col défait et les bretelles pendantes.

Jules dépense de plus en plus pour assouvir ses amours ancillaires et vient me réclamer ce jour, honteux, une nouvelle hausse de ses appointements.

« Monsieur le conseiller, je suis pris à la gorge. Même si j’arrêtais de voir Marguerite, je devrais continuer à payer son silence. »

Mon collaborateur apporte une aide juridique précieuse au gouvernement dans ses démêlés avec le Conseil d’État : les arrêts « Compagnie des Chemins de Fer de l’Est » ou « Winkell », pour ne citer qu’eux, ont fait l’objet de ses soins attentifs et grâce à son travail, les conclusions du commissaire de gouvernement Tardieu ne nous ont pas surpris. Jules a donc toute sa place à nos côtés et je n’hésitais pas, jusqu’à présent, à l’inscrire sur la liste des bénéficiaires de l’enveloppe « cabinet ».

Mais aujourd’hui, ses demandes deviennent exorbitantes. 25 % d’augmentations pour cueillir le sourire de Marguerite, c’est trop. J’ai décidé de changer de méthode. Et de dire toute la vérité à mon pauvre Jules :

« Cher ami, contrairement à ce que vous croyez, vous n’avez pas grand-chose à craindre de votre bonne. Elle n’a guère les moyens de vous faire chanter. » Je laisse passer un silence pour observer, un peu amusé, la bouche bée de mon interlocuteur et reprends :

« Je suis désolé de vous le dire et en principe, votre vie privée ne me regarde pas. Mais il se trouve que, selon mes informations, madame votre épouse sait tout de votre petit manège. »

Jules se décompose et ses mains se crispent désespérément sur les accoudoirs du fauteuil. J’assène alors le coup de grâce :

« Selon toute vraisemblance, votre femme est non seulement parfaitement consciente de la situation mais en profite. Marguerite qu’elle contrôle étroitement grâce à une autorité sans faille, lui redonne la majeure partie des « gages » que vous lui versez. Ces sommes constituent son argent de poche dont elle use à sa guise. »

D’une voix blanche et affaiblie, mon naïf juriste me fait part de son étonnement :

« Mais comment savez-vous tout cela ? Et que fait ma femme de cet argent ? »

A suivre…

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