1er février 1910 : Un cochon dans le ministère

«  Vous devez bloquer les cochons serbes ! » Le massif attaché d’ambassade austro-hongrois se dandine sur son siège après avoir prononcé ces paroles définitives avec un fort accent allemand.
Pour le cas où je ne comprendrais pas, il ajoute :
«  Notre empire interdit, pour des raisons sanitaires, l’importation, sur son territoire, de porcs venant de Belgrade et des environs. Nous constatons avec stupeur que la France se rend coupable d’un contournement de nos lois douanières en favorisant le transit de ces animaux par Salonique et ensuite leur diffusion dans toute l’Europe. Je vous transmets donc les protestations officielles du comte Ährenthal, notre ministre des Affaires étrangères. »

ahrenthal.1264935662.jpg

Le comte Alois Lexa von Ährenthal, puissant ministre des Affaires étrangères de Vienne, fait transmettre des protestations officielles à la France, lors de la « guerre des cochons » qui oppose, depuis maintenant deux ans, son pays à la Serbie.  

J’ai pour consigne de faire le dos rond. Nos relations avec Vienne restent placées sous le signe de la méfiance mais officiellement, rien ne doit pouvoir être reproché à la France. La Serbie – pays et peuple amis – bénéficie bien d’un soutien mais qui doit être aussi efficace que discret.
Nos canons 75 de Schneider équipent, par exemple, la puissante armée serbe et sont préférés par les stratèges de Belgrade aux pièces d’artillerie de 77 de Skoda Autriche. Quant aux fameux cochons, Paris se fait un plaisir de faire un pied de nez à l’administration viennoise en aidant Belgrade à les exporter. L’annexion, sans avertissement ni précaution, de la Bosnie-Herzégovine par l’Empire de Habsbourg trouve ici, selon nous, une juste punition.
Je me fends de paroles rassurantes et creuses en espérant endormir la méfiance du diplomate autrichien : « La France a le plus grand respect pour les règlements vétérinaires de votre empire. Mais elle vous serait reconnaissante si ceux-ci ne s’étendaient pas à toute l’Europe. L’empire Ottoman dont les douanes travaillent, vous le savez, en coopération étroite avec la France, ne peut accepter que Salonique ne puisse pas accueillir sur son sol les porcs serbes. Dans notre pays, un dicton affirme que dans le cochon, tout est bon. Il est donc judicieux de mettre cette excellente viande à disposition de tous les occidentaux. »

salonique.1264935958.jpg

Les porcs serbes passent par Salonique, sous contrôle ottoman et donc sous forte influence française.

Le diplomate viennois se tord alors de rage. Il pousse un cri de bête que l’on égorge et devient rose rouge en faisant passer un souffle puissant par sa gorge puis son nez. Les ongles de ses mains lacèrent l’accoudoir de son fauteuil qui ploie sous sa forte corpulence. Les dents de cet homme fou furieux deviennent autant de crocs laissant passer des jurons allemands que je m’interdis de traduire à mes lecteurs.
Lassé, je me lève pour ouvrir la porte de mon bureau au diplomate qui vient de franchir d’un coup toutes les barrières de la bienséance.
Il me quitte en braillant et en grouinant tout en tapant et raclant ses pieds sur le parquet, comme s’il voulait me charger.

Au moment où je me retrouve seul, je constate avec horreur que le triste sire a laissé une trace de son passage. Une forte flatulence s’est répandue dans toute la pièce et me contraint à ouvrir la fenêtre en retenant, en attendant, ma respiration.
Aristide Briand entre alors, hilare et lâche, en se bouchant ostensiblement le nez et dans un grand éclat de rire : «  Mais, cher ami, vous avez laissé tomber vos dossiers pour vous lancer dans l’élevage de cochons ? »

________________________________________________

Vous aimez ce site ? Votre journal préféré, “Il y a un siècle”, est devenu aussi un livre (et le blog continue !).

Dans toutes les (bonnes) librairies :

“Il y a 100 ans. 1910″

http://www.oeuvre-editions.fr/Il-y-a-100-ans

2 commentaires sur “1er février 1910 : Un cochon dans le ministère

Ajouter un commentaire

  1. Notre ami aurait pu être plus diplomatique avec l’ambassadeur et lui fair remarquer que le chantage envers la Serbie afin de l’amener à se soumettre aux desideratas de l’empire, pouvait s’avérer contre-productif, même à court-terme.

    Et ce ne sont pas des paroles en l’air ! En 1912, l’une des raisons expliquant la formation de l’entente balkanique réunissant Bulgarie, Gréce et Serbie contre l’empire Ottoman et donc le déclenchement de la 1ère guerre balkanique était lié, entre autre, à la volonté serbe d’acquérir un débouché portuaire sur l’Adriatique, via l’Albanie sous domination ottomane, pour pouvoir notamment exporter sans entrave leurs fameux cochons.

    En ce sens cette guerre fût quelque part une guerre de cochons, ce que son déroulement sur le terrain aller sans contexte confirmer.

    Bye

    Olivier Stable

    J’aime

  2. Je trouve que l’auteur de cet amusant billet force un peu le trait quant au comportement du diplomate autrichien qu’il met en scène. Tout d’abord, précisément, il est peu probable qu’un diplomate professionnel, même de rang moyen, se laisse aller à pareilles outrances dans l’exercice de ses fonctions. D’autre part, il y a une différence entre le profil prussien assez caricatural auquel ce portait fait penser et celui des diplomates de l’Autriche-Hongrie, dont relativement peu étaient de langue et de culture allemandes. Au contraire, beaucoup étaient hongrois, tchèques, croates ou polonais. Il serait donc assez étonnant que l’un d’entre eux, s’il venait à perdre sinon son calme du moins la maitrise professionnelle de ses nerfs, laisse échapper des jurons et propos profanes en allemand. Enfin, cette querelle porcine, quoique évidemment assez sérieuse du point de vue de Vienne et de Belgrade, justifierait difficilement une confrontation diplomatique alors que cet attaché ne faisait en somme que délivrer au gouvernement français un courrier de son ministre des affaires étrangères.

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :