22 juillet 1909 : Le Tigre s’en va

J’examine une dernière fois le contenu du dossier et, sans hésitation, je le jette au feu. Certes, le mois de juillet est pourri mais cela n’est pas arrivé depuis longtemps que les cheminées des locaux du ministère, place Beauvau, soient en activité en plein été.

« Tout doit disparaître ! » C’est le mot d’ordre sans ambigüité du directeur de cabinet Winter. Les fiches de police, les notes blanches, les comptes rendus de réunions officieuses, les rapports annotés ou les commentaires liés aux arbitrages financiers se consument dans les flammes entretenues par deux commis dans lesquels nous avons confiance.

Clemenceau est tombé. Tous les ministres présents à Paris ont remis leur démission au Président Fallières le 20 juillet au soir à la suite d’un vote défavorable de la Chambre sur l’ordre du jour.

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Caricature publiée dans la presse de gauche sur la chute de Georges Clemenceau 

 » Il fallait que je parte. Les parlementaires – y compris les radicaux – ne me supportaient plus. Et je crois que je leur rendais bien. Ce n’est pas notre politique qui est mise en cause mais ma personne.  » commente le Tigre.

Dans la soirée du 20, le drame s’est noué d’un coup. Personne n’a rien vu venir. Une banale interpellation du gouvernement à l’Assemblée sur la situation de la Marine française. Une intervention bien argumentée de Delcassé et puis… patatra, mon Patron perd son sang froid. Il prononce une  succession de paroles malheureuses et une mise en cause personnelle de ce député, ancien ministre des Affaires étrangères, qu’il déteste.

La suite était courue d’avance : les représentants du peuple ne pouvaient admettre des propos désobligeants contre l’un des leurs, Delcassé ayant de surcroît un certain prestige. Il ne pouvait être publiquement rendu responsable d’une hypothétique « humiliation d’Algésiras » pour reprendre les termes de Clemenceau.

Le vote de l’ordre du jour était l’occasion de vérifier si les députés continuaient à accorder leur confiance au gouvernement. Par 212 voix contre et 176 pour, l’ordre du jour était rejeté.

Aujourd’hui, Clemenceau n’est plus qu’un Président du Conseil démissionnaire. Il passe parmi nous, serre les mains, nous rassure sur notre avenir, plaisante et rit souvent de bon coeur, crânement.

Et surtout, il ne cesse de répéter la courte phrase prononcée à la Chambre, dans un silence glacial, quelques minutes après sa chute :

 » C’est bien ! ».

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