L’ambassadeur d’Espagne ne décolère pas. Il avait déjà demandé à me voir il y a trois mois et la discussion était restée très urbaine. Cette fois-ci, je le sens beaucoup plus contrarié.
» Monsieur le conseiller, cela ne peut plus durer. Qu’au sortir d’une si longue guerre, la presse française et les officiels ne soient pas capables de nommer correctement les choses et que la fatigue l’emporte, je comprends. Mais nous sommes maintenant plus de deux ans après l’armistice et vos ministres ou vos journaux continuent, obstinément, à parler de « grippe espagnole ». Et pourtant, vous savez bien que ce terrible virus ne vient pas de chez nous, les Espagnols, mais probablement des Etats-Unis…et je ne dis pas cela parce que nous avons été en conflit avec eux. »
Je réponds, avec un sourire destiné à détendre un peu l’atmosphère : « Oui, je comprends, vous avez raison. Manifestement, les premiers malades étaient des soldats de l’Us Army, entassés les uns sur les autres, dans des camps d’entraînement au Kansas… Et tout cela n’est apparu ni à Madrid ni ailleurs chez vous. »
Il me répond : » Et vous savez pourquoi on a désigné l’Espagne au moment où l’épidémie est apparue ? C’est uniquement dû au fait que nous étions les seuls à aborder le sujet dans nos journaux qui n’étaient pas soumis à la censure comme les vôtres. Ce n’est nullement parce que nous évoquions franchement et à longueur de pages ce satané virus que celui-ci a pris naissance chez nous ! «
Après un instant de réflexion, je lui propose de contacter les ministères, les journaux, les universités… bref, tous les endroits où on parle encore de cette terrible grippe qui vient de se terminer. Je lui glisse en substance : » En fait, on devrait qualifier cette maladie par les deux derniers chiffres de l’année au cours de laquelle elle a été la plus meurtrière. Ce serait donc 19. Et puis, on trouverait des initiales qui permettraient de nommer le fléau sans ambiguïté. Je réfléchis à un terme, en anglais, susceptible d’être compris dans tous les pays. « Maladie due à un virus important de 1919 » donnerait quelque chose comme « Core Virus Disease 19 » soit « Covid 19″. Ça sonne bien, non, Covid 19 ? » Je me tais et me renverse sur mon fauteuil, assez fier de mon idée.
Le diplomate madrilène fait finalement la moue et s’exclame : » Covid 19 ? … mmh, bof…. C’est plutôt cérébral comme trouvaille. Je ne suis pas sûr que cela va remplacer facilement le vocable plus populaire de » Grippe Espagnole » . Ça, au moins, tout le monde comprenait. « Covid 19 », pfff, c’est une « invention » de haut fonctionnaire… mais cela mettra bien 100 ans avant de s’imposer ! «
