28 février 1911 : Vive le nouveau ministre des Affaires Etrangères !

« Il y a deux méthodes. Soit vous favorisez l’entrée au gouvernement de vos amis – ce qui est naturel – soit vous laissez passer ceux qui vous nuisent et sont en embuscade pour pouvoir ensuite leur tirer dessus en pleine lumière – c’est plus tordu mais très efficace ! »

Clemenceau a gardé son cynisme teinté d’humour vachard. Je lui expose depuis une bonne heure toutes les questions que nous nous posons, Ernest Monis et moi pour constituer le futur gouvernement.

Il reprend : «Le rapport de force n’est pas en faveur de nos amis, les radicaux modérés. Nous sommes submergés par les laïcards furieux, les anticongréganistes intransigeants, les amoureux de la Loi et les gardiens farouches des prérogatives de la Chambre. Pourquoi lutter ? Nous sommes pour l’instant minoritaires. »

Il passe sa main, de façon lasse, sur ses magnifiques moustaches blanches.

Je glisse alors la question fatidique. « Qui faut-il désigner au poste stratégique de ministre des Affaires Étrangères ? »

Le Tigre répond : «Prenez quelqu’un de rigoureux, qui ne confond jamais son intérêt personnel et celui de l’État. Dans ce ministère, les tentations sont grandes de se faire inviter ici par les Allemands, là par les Austro-Hongrois, plus tard par les Anglais ou les Turcs.

Prenez donc Cruppi. Excellent garçon mais raide comme un passe-lacets, ancien avocat général à la Cour de Cassation. Il en a gardé toute la rigidité mais aussi le souci de creuser un dossier à fond. Il aura bien du mal dans les affaires marocaines où le chemin pour aller d’un point à l’autre est rarement la ligne droite. Eh bien, ce sera justement du pain béni pour nous. Il nous dira tout, y compris ses difficultés et ses faux pas. Nous allons le regarder s’ébattre le sourire en coin. »

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Le sénateur Jean Cruppi, grand juriste et spécialiste budgétaire, sera ministre des Affaires Etrangères

Va pour Jean Cruppi. L’homme ne m’est pas sympathique. S’il a été pénible lors de la grève des cheminots et interpelait sans cesse le gouvernement, il est devenu franchement insupportable quand Briand avait fait son faux pas à la Chambre.

Pour autant, il a souvent rapporté avec talent le budget de différents ministères et il reste un juriste pointu.

Caillaux aux Finances, Berteaux à la Guerre, Cruppi aux Affaires Étrangères… il va falloir que j’apprenne à survivre en milieu hostile.

8 commentaires sur “28 février 1911 : Vive le nouveau ministre des Affaires Etrangères !

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  1. Ce nouveau gouvernement et son nouveau ministre des affaires étrangères risquent de rencontrer de graves difficultés du côté de l’Afrique du Nord, où l’Allemagne convoite le Maroc, tandis que l’Italie lorgne sur la Tripolitaine…

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  2. En fait, c’est tout l’Orient arabe qui semble être entré en ébullition… Notre nouveau ministre des affaires étrangères ne devrait-il pas apporter son soutien à l’imam Yahya, qui est en passe de bouter les Turcs hors du Yémen? Ne serait-ce pas l’occasion de réaffirmer nos droits sur la presqu’île stratégique de Cheik-Saïd, qui contrôle l’entrée de la mer Rouge et dont le traité de Constantinople nous a reconnu la possession en 1870?

    Notre diplomatie devrait également garder un œil sur le Mexique, où le dictateur Porfirio Diaz a du plomb dans l’aile…

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  3. « ….l’Allemagne convoite le Maroc…. » (Nagy Bocsa)

    Les difficultés sont pour tout de suite. Pichon, son prédécesseur, lui a légué une « patate chaude » sous la forme d’un consortium franco-allemand des chemins de fer marocains dont les allemands exigent la création, en application du traité d’Algésiras de 1909 par lequel l’Allemagne consentait en fait à laisser la prédominance politique sur le Maroc à la France en contrepartie d’avantages économiques concrets.

    Il y a quelques jours le ministre allemand des affaires étrangères vient justement de demander, via notre ambassadeur à Berlin, que soient crées des consortiums franco-allemands pour toutes constructions de lignes ferroviaires au Maroc.

    Un dilemme se dessine. Soit le nouveau gouvernement français accepte en l’état cette « proposition » et on accepte alors implicitement de voir à terme l’Allemagne cogérer économiquement le Maroc avec la France, soit on rejette cette proposition et l’Allemagne pourra prendre ce refus comme une négation des engagements de la France vis-à-vis du contrôle du royaume chérifien, et nous mettre ainsi éventuellement en position difficile sur le plan international.

    Bon courage monsieur Cruppi!

    Bye

    Olivier Stable

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  4. Comme je l’annonçais dans mon précédent message, les nuages s’amoncellent du côté de l’Afrique du Nord : je viens d’apprendre de source sûre que le gouvernement français serait sur le point d’annoncer l’envoi de deux bataillons supplémentaires dans la région côtière de la Chaouïa, au Maroc…

    D’autre part, une vaste campagne de presse devrait être lancée d’ici la fin du mois en Italie en faveur d’une invasion de la Tripolitaine : celle-ci serait dépeinte comme une région riche en ressources, bien irriguée et défendue par seulement quatre mille soldats turcs, donc facile à conquérir. D’ici peu de temps, cela devrait barder du côté de Tripoli et de Benghazi…

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