18 septembre 1911 : Assassinat du premier ministre russe

C’est pour moi un choc. Stolypine est mort. Le premier ministre russe auquel j’avais serré la main au moins deux ou trois fois lors de mes visites à Saint-Petersbourg, n’est plus. Un coup de feu presque à bout portant en plein opéra de Kiev, il y a quatre jours, une longue et douloureuse agonie et voilà, plus rien, un homme d’Etat disparaît, emporte avec lui les espoirs de réforme d’une partie des Russes.

Piotr Stolypine, le premier ministre russe, vient de mourir, après avoir été victime d'un attentat quatre jours plus tôt, à l'opéra de Kiev

Comme d’habitude dans cet empire compliqué, rien n’est propre, tout sent le coup tordu de la police politique. Comment expliquer sinon qu’un opposant au régime, connu et surveillé – Dmitri Bogrov  – ait pu s’approcher à ce point du premier ministre que l’on savait menacé ? Stolypine avait déjà été victime d’attentats, il aurait dû être plus protégé qu’un autre. Au lieu de cela, un service d’ordre passoire, des gardes du corps inefficaces : bref, un réformateur jeté en pâture aux extrémistes violents de tous poils, soutenus, contre nature, par les conservateurs champions de l’immobilisme.

Cette noblesse russe arc-boutée sur ses privilèges, qui n’aime la démocratie que lorsqu’elle la fréquente, l’hiver venu, dans les palaces cossus de la Côte d’Azur, a laissé Stolypine prendre les coups seuls, a laissé cet homme se débrouiller sans elle pour réformer son immense pays.

Trois ans avant sa mort, le premier ministre écrivait déjà dans son testament :  » Je veux être enterré là où je serai assassiné. » Sachant sa vie en sursis, il dansait comme un funambule au-dessus du vide, résistant au vent des complots, aux lâchetés de ceux qui le poignardaient, dans le dos, pour avoir osé mettre en cause les privilèges fiscaux et la distribution inégale des terres.

Après avoir été touché d’une balle avant le début de la représentation à l’opéra, Stolypine a calmement retiré ses gants puis ouvert son gilet pour constater l’ampleur de sa blessure. Il a adressé un signe de croix en direction du tsar qui le regardait sans réagir. Il a mis ensuite de longues minutes avant de s’effondrer, comme voulant croire jusqu’au bout à sa mission impossible de réforme.

« Même avec une main de fer, vous ne pouvez pas réformer la Russie…  » lâche devant moi l’ambassadeur russe qui m’apporte les dernières nouvelles.

Nicolas II a tenu la main de son premier ministre avant que celui ne rende son dernier soupir. Il lui a demandé pardon. Pardon de l’avoir fait surveiller, pardon de ne pas lui avoir accordé toute sa confiance, pardon de ne pas l’avoir soutenu vraiment face à la meute des opposants, pardon d’avoir écouté l’impératrice plutôt que lui….

Trop tard, Stolypine n’est plus. Avec lui, s’envole l’espoir d’une Russie s’occidentalisant, d’une Russie entrant pleinement dans l’ère industrielle… Le géant de l’Est s’effondre, s’éloigne et bascule dans un avenir incertain.

Il est quatre heures à Paris mais en Russie, la nuit tombe déjà.

Des images de la mort de Stolypine…

5 commentaires sur “18 septembre 1911 : Assassinat du premier ministre russe

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  1. Il faut lire dans Août 1914, premier livre du cycle de La Roue Rouge, les quelques cent cinquante pages (les meilleures à mon sens) que Soljenitsyne consacre à l’oeuvre de Stolypine et aux circonstances de sa mort.

    Il en fait effectivement, comme suggéré dans le billet, le seul qui pouvait encore offrir une « rédemption politique » à la Russie en lui faisant prendre une sorte de troisième voie entre absolutisme et révolution, qui aurait permit de concilier libertés économiques (via la paysannerie notamment, au coeur du programme réformateur de Stolypine), puis plus tard politiques, avec le respect des traditions russes et le maintien de la grandeur nationale.

    C’est évidement un Stolypine un peu (beaucoup !) magnifié par Soljenitsyne qu’il nous est ainsi donné à lire, mais il s’appuie sur une documentation rigoureuse qui montre bien que le futur de la Russie s’est quand même beaucoup joué à travers l’oeuvre inachevée du premier ministre russe.

    Bye

    Olivier Stable

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    1. Je suis l’auteur de Dimitri Bogrov, bande-dessinée publiée chez Gallimard (collection Bayou). Je n’ai pas souhaité être « gentille » ou « méchante » avec Bogrov ou Stolypine, j’ai simplement construit une fiction autour du personnage de mon arrière-grand-oncle et de cet assassinat qui échappe à l’histoire officielle de l’union soviétique et qui semble atypique au regard des exactions anarchistes de l’époque. Outre le fait que cette histoire appartient à celle de ma famille, le mystère qui entoure les motivations de Bogrov ne me semble pas avoir été éclairci par Soljenitsyne, malgré la somme qu’il consacre à cet épisode crucial. Il reste que Stolypine n’était certainement pas l’homme à abattre, et que l’acte de Bogrov, pour opaque qu’il soit, a eu de très graves conséquences pour la Russie.

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  2. Aura-t-on un jour l’explication de cette absence prolongée d’Olivier Le Tigre ? Séquestré par quelques tribus indigènes lors d’une périlleuse mission, ou simplement enfermé par erreur (et une femme de ménage zélée) à la cave de son ministère, en allant récupérer un document aux archives ?… PLOP ! les bouchons sautent pour fêter votre retour aux affaires.

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