24 avril 1910 : Un Président qui essaie de bien se tenir

 » J’aimerais enfin comprendre pourquoi je dois passer avant la dame qui m’accompagne, quand j’entre dans un restaurant ! » Le Président Armand Fallières fait de vrais efforts pour être un parfait homme du monde : prévenant et galant avec ces dames, respectueux et enjoué avec les messieurs.

Ses origines modestes l’obligent à prendre sur lui et on sent que ses manières ne sont pas innées. Je suis debout face à son bureau élyséen et il me demande des explications pour progresser en la matière : « Vous qui avez fait le lycée Condorcet et Ulm, vous devez savoir tout cela ! Le bras qu’il faut donner aux dames, la place qu’il convient de leur laisser dans la voiture, les moments où je dois faire une révérence… J’attends de vous des fiches précises sur le sujet ! » 

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Notre Président de la République, Armand Fallières, essaie d’adopter toutes les bonnes manières

J’ai beau répondre au Président que mes parents ne sont guère issus de la grande bourgeoisie ou d’une quelconque aristocratie (ils étaient instituteurs !) et que les établissements que j’ai fréquentés viennent d’un travail acharné sous la conduite exigeante de ma mère, rien n’y fait. Pour lui, je suis celui qui « sait se tenir » et qui doit tout lui apprendre sur les usages de la bonne société.

Il développe un argument inattendu : « Et la baronne Staffe qui vend des milliers d’exemplaires de son Usages du Monde, elle n’est pas plus aristocrate que vous et moi, figurez-vous. Dans sa demeure de Savigny-sur-Orge, elle se contente de faire des cakes et des gâteaux au chocolat pour tous les marmots qui passent et consacre le reste de son temps à écrire -avec talent – sur les bonnes manières d’un monde qu’elle ne fréquente pas. »

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La bonne baronne Staffe

Je conviens avec Armand Fallières que mes fiches n’apporteront pas beaucoup plus que ce que peut écrire la fameuse baronne.

Le Président a soudainement l’œil qui s’éclaire. Il me demande : « Et si vous alliez faire un tour chez la bonne baronne Staffe, pour me faire des fiches vraiment originales et qui serviront aussi à tous les Présidents qui viendront après moi ? »

Voilà comment je me trouve aujourd’hui, assis confortablement, une tasse de thé à la main, chez la vieille baronne, de son vrai nom Blanche Soyer. Cette dernière a été élevée par ses tantes dont l’une était demoiselle des Postes. Elle a tiré de son éducation rigoureuse de solides principes qui ont fait, une fois arrivée à l’âge adulte, son fonds de commerce pour de nombreux ouvrages de savoir-vivre et des articles par centaine dans la grande presse sur ce même sujet.

Un enfant des voisins sur les genoux – gamin très sage, le pouce dans la bouche – elle m’explique avec délicatesse, toutes les règles du maintien dans la bonne société. Elle est flattée que ses conseils soient transmis par mon intermédiaire au Président de la République.

« Vous expliquerez à votre grand patron, que le plus important est la politesse du cœur, le respect des autres, même de ceux qui vous ont offensé. Le Président de la République, par sa place éminente dans notre pays, doit être celui qui montre l’exemple en toutes circonstances. Tact, discrétion, élégance de l’attitude, qualités d’écoute… N’oubliez pas que Louis XIV levait son chapeau empanaché devant une blanchisseuse ! »

Je prends des notes fébrilement, en m’efforçant de ne rien oublier des propos tenus. Je sens intérieurement que c’est un grand honneur et une lourde tâche que de s’occuper des bonnes manières du Président de la République.

8 commentaires sur “24 avril 1910 : Un Président qui essaie de bien se tenir

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  1. « Le Président de la République, par sa place éminente dans notre pays, doit être celui qui montre l’exemple en toutes circonstances. Tact, discrétion, élégance de l’attitude, qualités d’écoute… » :
    Tout décalage avec la situation actuelle serait purement fortuit…

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  2. Sur Gallica, la bibliothèque electronique de la BNF, j’ai jeté un coup d’oeil à la 122 ème (mais oui !!) édition de son Usage du Monde, datée de 1897, et j’ai trouvé que la baronne Staffe n’excellait pas uniquement dans l’art des bonnes manières mais aussi, parfois, dans l’art de l’écriture.

    Extrait de son introduction

    « On nous accuse d’avoir jeté bas l’arbre des
    bienséances. Cet arbre — pour continuer à nous
    servir d’une comparaison excellente, car elle est
    quasi tangible —cet arbre n’a même pas été
    écimé. Il a gardé ses maîtresses branches; à peine
    l’avons-nous élagué, nous bornant à retrancher
    les rameaux encombrants.

    Est-ce donc un crime d’avoir supprimé l’ennuyeuse et
    inutile cérémonie, les formules hyperboliques, les
    usages devenus sans objet? Tout cela, il faut avoir
    l’équité d’en convenir, était aussi gênant, à nôtre.
    époque affairée, qu’une robe longue pour trotter à
    pied.

    Mais de même qu’une jupe courte peut n’être
    pas sans grâce, de même la politesse de notre
    temps, allégée d’abus, peut avoir ses petits mérites. »

    Finalement, cette Miss Staffe n’était-elle pas une
    révolutionnaire …. à sa façon?

    Bye

    Olivier Stable

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  3. Cher Zeph
    Vous avez raison en 2010… et plutôt tort en 1910. La révérence (un peu oubliée dans les années 1880) est en pleine renaissance chez les femmes du monde au début du XXème siècle (années 1900, 1910). Elle perdure encore aujourd’hui et reste uniquement pratiquée par le sexe féminin.
    Chez les hommes, cette marque de grande politesse disparaît progressivement tout au long du XXème siècle. Elle ne se fait pas tout à fait au même moment que chez les femmes et plutôt en prenant congé (d’où l’expression « tirer sa révérence »)
    La révérence se fait en pliant les genoux et en inclinant la tête chez la femme et se traduit par une très forte inclinaison du buste et de tout le haut du corps chez l’homme (lui, garde en revanche les jambes droites).
    Entraînez-vous, c’est excellent pour la souplesse du dos !
    L’auteur

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