9 mars 1910 : L’extrême droite aime les Arabes

« Ils sont sobres, forts, courageux, n’hésitent pas à verser leur sang pour la France ! » Soirée chez un oncle que je fréquente fort peu depuis nos mémorables disputes liées à l’Affaire Dreyfus. Il aime les Arabes, relit devant nous des passages entiers de la « France Juive » d’Edouard Drumont.

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Un livre malsain mais très lu dans notre douce France : La France Juive d’Edouard Drumont

Sa thèse ? La France comme l’Algérie, est soumise à un pouvoir juif rampant, « oblique » , s’appuyant sur des forces financières obscures. Ces Rothschild et autres Dreyfus asservissent notre beau pays d’Aryens et lui font oublier sa Foi, ses valeurs chrétiennes faites de noblesse et de générosité.

Pour résister à cette perversité, nous pouvons compter sur un peuple opprimé comme nous : les Arabes. Certes, nous devons combattre ces derniers pour conquérir les terres d’Afrique du Nord mais à l’occasion de ces guerres, nous ne pouvons qu’apprécier leur courage, leur valeur militaire et leur fierté. Et puis, quand les territoires sont conquis, les Arabes font d’excellents soldats dans les régiments français et viennent renforcer nos lignes face à l’ennemi héréditaire allemand. « Ces Arabes nous ont aidés lors du conflit de 1870 et 1871 alors que les Juifs applaudissaient à chacune de nos défaites !».

Moi aussi j’aime les Arabes. Mais j’ai aussi une foule d’amis juifs. Nous sommes au dessert, la petite cuillère à la main, l’oncle continue à dérailler dans son long discours antisémite et pro arabe. Après Drumont, il nous lit maintenant du François Gourgeot puis du Georges Meynié.

Ses propos suent la haine. L’Arabe est l’allié du jour face au Juif. On ne l’apprécie que pour mieux détester le Sémite. Drôle d’amour que celui qui a besoin d’une haine parallèle pour naître et se renforcer.

« Vous prenez un café ? »

Non merci, nous rhabillons vite les enfants, prenons congé et rentrons chez nous.

Mon oncle est un triste sire. Malheureusement, dans notre beau pays, il n’est pas seul.

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Caricature d’Edouard Drumont, cet homme qui me fait penser à mon oncle…

12 commentaires sur “9 mars 1910 : L’extrême droite aime les Arabes

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  1. Eh oui… L’hostilité aux Arabes n’est apparue que très progressivement dans l’extrême droite de France métropolitaine. Un des premiers à s’y livrer fut H. Dorgères, chef des Chemises vertes, dans les années 1930 ; mais son point étaient alors loin d’être généralisé à l’extrême droite, où la « résistance » arabe au sionisme était souvent donnée en exemple pour les « bons Français ». La guerre d’Algérie et l’affaire de Suez ont marqué un tournant. Néanmoins, il s’est trouvé des proarabes à l’extrême bien après. Ainsi, François Duprat était-il un grand ami des nationalistes palestiniens ; sans surprise, plus ces nationalistes palestiniens étaient antisémites et violents, plus ils plaisaient à F. Duprat.

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  2. Agréable lecture comme d’ordinaire..je me demande juste si le mot ‘Aryen’ n’est pas un anachronisme ici? Je me doute bien que le concept ne date pas d’Hitler, mais l’extrême-droite française s’était-elle appropriée ce concept au début du XXème siècle?

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  3. Peut-etre est-ce simplement qu’ils n’y avait pas encore eu a l’epoque d’immigration massive de pauvres paysans incultes deliberement choisis par les contremaitres dans les villages les plus recules por plus facilement les reduire a l’obeissance dans les usines en France ?

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  4. Des nostalgiques de cette époque je viens de recevoir une pub nauséabonde qui me dit que : « L’introuvable (et énorme 675 pages) Précis de l’Affaire Dreyfus d’Henri Dutrait-Crozon, sans nul doute le meilleur ouvrage sur cette affaire, vient d’être mis en ligne » (sous forme PDF.

    C’est comme le cancer, on croit que c’est guéri et voilà que ça revient.

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  5. Il n’est pas sûr que l’on ait parlé si tôt d’«ennemi héréditaire» à propos de l’Allemagne, pays qui n’est pas très vieux, en 1910. Les invasions allaient dans l’autre sens, pour ne parler que d’événements relativement récents : Palatinat dévasté deux fois par Louis XIV (1674 et 1689), occupation révolutionnaire, passages des armées napoléonniennes. La notion d’ennemi héréditaire (Erbfeind, qui date du début du XIXe siècle) sera sans doute importée et recyclée en France d’ici quelques dizaines d’années.

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  6. A Lucrece:
    Il ne s’agit pasici du terme anglais Sir mais de la version francaise Sire, aussi derivee en Sieur, Le sieur, Lesieur (comme la marque d’huiles), puis mon sieur et aujourd’hui Monsieur.

    PS: j’ai un clavier qwerty, d’ou pas d’accents..

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  7. « Peut-etre est-ce simplement qu’ils n’y avait pas encore eu a l’epoque d’immigration massive de pauvres paysans incultes deliberement choisis par les contremaitres dans les villages les plus recules por plus facilement les reduire a l’obeissance dans les usines en France ? »
    L’immigration de masse commence en France au XIXe siècle, avec des Italiens (souvent illettrés), des Espagnols, des Juifs d’Europe de l’est fuyant les pogromes. Les xénophobes de la Belle Époque étaient d’une violence souvent supérieure aux xénophobes d’aujourd’hui, mais les thèmes étaient similaires : ils ne veulent pas s’intégrer, ils sont arrogants, ils n’ont pas les mêmes mœurs, ils sont sales ; et dans le cas des Juifs, ce n’est pas la même religion, voyez-vous. De même que le FN et une partie de la droite gouvernementale s’en prennent aux lois de 1974 et 1984, les xénophobes de la Belle Époque vitupéraient la loi de 1889, qui rétablissait intégralement le droit du sol ; ceux de l’entre-deux-guerre avaient pour cible favorite la loi de 1927, qui facilitait les naturalisations. La majorité des Italiens arrivés en France en 1914 sont rentrés en Italie, la xénophobie étant trop forte, trop violente. Encore dans les années 1960, les fines plaisanteries sur les « macaronis » étaient monnaie courante dans les départements où les descendants d’immigrés italiens étaient nombreux.

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  8. @ Sylviesy : l’article ne contient aucun anachronisme, l’opposition entre « Aryen » et « Sémite » est constante dans « La France juive » d’Édouard Drumont et dans les écrits de certains de ses continuateurs. Plusieurs passages de Drumont semblent tirés de « Mein Kampf », et d’ailleurs, Robert Brasillach voyait en Drumont un précurseur d’Hitler, encore plus « génial » que le Führer lui-même.
    Ce qui différencie Hitler et Drumont, c’est principalement la vision apocalyptique d’Hitler, dont la conséquence logique était l’assassinat systématique des Juifs à l’échelle de l’Europe, voire dans le monde entier ; Drumont, lui, se serait contenté (si j’ose dire) d’expulser tous les Juifs de France.

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  9. « Il n’est pas sûr que l’on ait parlé si tôt d’«ennemi héréditaire» à propos de l’Allemagne, pays qui n’est pas très vieux, en 1910. »

    —————–

    Le concept « d’ennemi héréditaire » est d’abord allemand. Si en 1910 l’Allemagne strico sensu n’a effectivement pas encore 40 ans, il ne faut pas oublier que la rivalité franco-prussienne date du 18ème siècle et que les guerres napoléoniennes ont laissé une trace profonde en terre germanique (l’idée nationale allemande s’y est d’ailleurs forgée).

    Le Erbfeind, l’ennemi héréditaire fut en fait d’abord turc au 16ème siècle, pour les Hasbourg autrichien, « Wer hat den Türken, diesen Erfeind » (*), avant donc d’être réapproprié par la Jeune Allemagne au détriment (si je puis dire) de la France, au début du 19ème siècle.

    Bye

    Olivier Stable

    (*) En traduction un peu funny on pourrait dire « Là où est le turc, se trouve notre tête de turc »

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  10. “L’Arabe est l’allié du jour face au Juif. On ne l’apprécie que pour mieux détester le Sémite.”
    mais l’Arabe est lui-même un Sémite.
    Wikipédia : « Le mot « sémite » a été forgé au XVIIIe siecle partir du nom propre Sem (en hébreu שֵׁם,šem, « nom, renommée, prospérité ») désignant un des fils de Noé, duquel, selon la mythologie de la Bible, seraient issus plusieurs peuples comme la plupart des tribus arabes… » « La seule utilisation de l’adjectif « sémite » (ou « sémitique ») fondée scientifiquement se fait dans le cadre de l’étude des langues : on désigne alors sous ce vocable les langues araméennes modernes, arabe, hébraïque et éthiopienne, et leurs parents antiques… »
    Cela étant, bravo pour votre blog.

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