5 février 1910 : Le charlatan, l’assassin et le journaliste

Marcel Magnin a le foie malade. Le teint jaune, des douleurs abdominales atroces, des fièvres qui n’en finissent plus. Son médecin lui fait part de son pessimisme et surtout de son impuissance à le soigner. Sa femme aimante, folle à l’idée de perdre son mari, se retourne alors vers un homme dont on lui a dit beaucoup de bien, un certain docteur Kraus. Elle le fait venir au chevet du pauvre Marcel en le priant, presque à genoux, de « faire quelque chose ».

Kraus annonce les tarifs : 500 francs tout de suite, 500 francs à la guérison. Pour les Magnin, il s’agit une somme énorme mais ces derniers acceptent. Kraus prépare, chez lui, un breuvage complexe qu’il fait avaler à Marcel. Une heure après, le malade décède.

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Une caricature, dessinée par des internes des hôpitaux, dans les années 1900, sur la lourdeur des honoraires médicaux

Au même moment, à quarante kilomètres de là, à Pontoise, un ex-veilleur de nuit licencié sort son revolver et tire sur celui que l’on a recruté pour lui succéder. L’infortuné, touché au ventre, se défend avec un fusil et arrive à atteindre son agresseur qui s’enfuit à toutes jambes. Le sang se répand partout dans la baraque de chantier devenue le lieu du drame.

Toujours au même moment, dans la banlieue Est, un amant fou tranche la gorge de sa maîtresse qui vient de lui annoncer, brutalement, qu’elle voulait le quitter. Le meurtre a lieu chez une modiste où la malheureuse était employée et ce sont ses collègues qui recueillent les dernières paroles de la mourante.

Maurice Gratte, journaliste, se frotte les mains. Du sang, de l’amour qui finit mal, de la maladie que chacun peut craindre : il a aujourd’hui toute la matière pour faire une jolie « une » du Petit Parisien. Magnin et son foie méritent (le jeu de mot l’amuse) un « long traitement ». L’identification du lecteur au « héros » sera ainsi plus facile. Qui n’a jamais eu de douleur au ventre ? Qui n’est pas tenté de se tourner vers un charlatan pour sauver un proche, condamné par la maladie ?

Maurice Gratte ouvre son encrier et prépare ses feuilles blanches avec une gourmandise et une joie qui le poussent à siffloter. Ça y est. Il les tient « ses papiers ». Il se délecte de tenir en haleine des milliers de lecteurs, d’imaginer que telle ou telle mamie va verser une petite larme sur le sort de la pauvre modiste (ah, il faut la rendre attendrissante, celle-là !).

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A midi, il déjeune avec Campion, son ami inspecteur de la Sûreté. Il saura si on a retrouvé le veilleur de nuit licencié devenu assassin. Si l’arrestation pouvait être mouvementée, ce serait parfait.
Il faut déjà penser aux articles du lendemain !

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Un commentaire sur “5 février 1910 : Le charlatan, l’assassin et le journaliste

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  1. Il est peu probable que les lecteurs du Petit Parisien en 1910 aient pu être aussi lecteur du Matin en 1906.

    S’il y en a, j’ose croire qu’ils font la différence entre les faits-divers racontés façon Maurice Gratte et ceux racontés succinctement mais très spirituellement par Félix Fénéon, dans les colonne du Matin et sa rubrique « Nouvelles en trois lignes », il y a de cela quatre ans.

    Petit florilège

    Mondier, 75 bis, rue des Martyrs, lisait au lit.
    Il mit le feu au draps, et c’est à Lariboisière
    qu’il est maintenant couché.

    Emilienne Moreau, de la Plaine-Saint-Denis,
    s’était jetée à l’eau. Hier elle sauta du quatrième
    étage. Elle vit encore, mais elle avisera.

    M. Colombe, de Rouen, s’est tué d’une balle
    hier. Sa femme lui en avait tiré trois en mars,
    et le divorce était proche.

    M. Abel Bonnard, de Villeneuve-Saint-Georges,
    qui jouait au billard, s’est crevé l’oeil gauche en
    tombant sur sa queue.

    C’est au cochonnet que l’apoplexie a terrassé
    M.André, 75 ans, de Levallois. Sa boule roulait
    encore qu’il n’était déjà plus.

    Je suis convaincu que ces perles seront réunis un jour dans un livre. Heureux futurs lecteurs!

    Bye

    Olivier Stable

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