26 janvier 1910 : L’eau monte, Paris barbote

Paris s’écroule : ce qui faisait sa fierté s’arrête inexorablement. Les ascenseurs ? Stoppés entre deux étages. Les horloges publiques ? Arrêtées après avoir affiché un retard leur retirant toute crédibilité. L’usine à air comprimé du XIIIème arrondissement qui faisait fonctionner le tout disparaît sous les flots.

Les Parisiens barbotent dans les eaux boueuses d’une Seine qui a décidé de quitter son lit pour s’étirer paresseusement sur de vastes quartiers à l’ouest de la porte de Charenton, sur Bercy jusqu’à l’Hôtel de Ville, en recouvrant aussi des pans entiers de la rive gauche : notamment Jussieu, le Jardin des Plantes et une part grandissante du XVème arrondissement.

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Le soir, les pas font « floc » dans un noir d’encre qu’aucun bec de gaz ne peut plus combattre, les usines les approvisionnant à Alfort et Passy étant hors d’usage, faute de charbon. La société concessionnaire d’électricité a mis fin à son approvisionnement par crainte de gigantesques court-circuits. Les architectes examinent gravement les immeubles touchés par les inondations pour vérifier que leurs fondations fragilisées ne vont pas conduire à leur écroulement. Plus de métropolitain, plus de tramway : tous les fiacres reprennent du service… aux côtés des barques.

Dans ce marasme ambiant, on se serre les coudes. Les Parisiens les plus vaillants aidés des employés municipaux et des pompiers apportent des provisions aux personnes fragiles.

Le préfet Lépine fait ses tournées en équilibriste sur les planches et passerelles mises en place par ses services et les régiments du Génie pour avancer pieds secs. Le Président du Conseil Aristide Briand, quant à lui, partage son temps entre son bureau de la Place Beauvau où il donne des ordres judicieux, les séances à la Chambre -informée régulièrement – et les visites sur toute la région parisienne sinistrée.

Il n’oublie pas des grandes villes comme Lyon qui souffrent aussi cruellement de situations semblables.

Ravitaillement des Halles, distribution des vivres, évacuation des ordures, soins aux malades, surveillance contre le pillage des appartements abandonnés : il faut penser à tout. Chaque jour a lieu une réunion de coordination présidée par Briand, reprenant sa casquette de ministre l’Intérieur, associant le préfet Lépine, le gouverneur militaire de Paris, le général Dalstein, ainsi que les patrons de la police municipale, le directeur de l’hydraulique au ministère de l’agriculture sans oublier le directeur de l’Assistance Publique, Gustave Mesureur.

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Le flamboyant général Dalstein est très fier de livrer l’un de ses derniers combats, avant une retraite méritée

Les chefs de file des groupes parlementaires sont reçus chaque jour, avec des égards, pour leur montrer l’efficacité de la machine gouvernementale. Clemenceau a promis de se taire et envoie de sa rue Franklin quelques recommandations écrites (jetées au panier par Briand agacé qui fait répondre par sa secrétaire qu’il les a lues et « particulièrement appréciées ») . Jaurès prend la parole pour appeler à l’unité derrière les ministres et à la solidarité en faveur des sinistrés.

Les patrons de presse ont promis de ne pas démoraliser leurs lecteurs. Je me charge de leur communiquer deux fois par jour les exemples les plus significatifs de la mobilisation des pouvoirs publics.

Et pendant ce temps, l’eau continue de monter et le zouave du Pont de l’Alma boira bientôt la tasse !

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Le Zouave du Pont de l’Alma boira bientôt la tasse

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7 commentaires sur “26 janvier 1910 : L’eau monte, Paris barbote

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  1. Bonjour M? le conseiller

    Très inquiétant tout cela … les risques d’épidémies ne sont pas à négliger avec cette eau souillée et les cadavres d’animaux. Enfin à chaque jour sa peine.

    Je me permet de vous remonter quelques informations de province.

    Ici à Nantes, la Loire est « plus calme » mais son niveau monte quand même. La grande crainte est plus en amont. Les digues en Maine-et-Loire vont-elle tenir sous la pression du fleuve ?
    Les déversoirs créés par M. Comoy parviennent à contenir le plus gros mais certaines zones sont quand même inondés. Comme à chaque crues les quartiers d’Angers en bordure du Maine (au pied du chateau) sont submergés mais le reste de la ville n’ai pas trop touchée.

    Bien entendu les éternels mécontents s’en donnent à coeur-joie. Pas assez de retenue, pas de barrage construit sur le Loire, etc. C’est bizarre quand vient le moment du financement de ces projets, on entend plus personne. « la critique est facile, faire … »

    Mais dans l’ensemble la population du val de Loire affronte cette épreuve avec un certain fatalisme.

    Salutations

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  2. Et vous, cher ami? Comment se débrouille votre famille, votre épouse? J’imagine que vous ne la voyez pas souvent non plus…depuis les hauteurs de mon quartier St. Georges j’observe tous les jours la mer devant St Lazare. En ce moment, je peux encore en rire!

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  3. Mais point du tout ! C’est il y a 35 ans, face à la crue de la Garonne de 1875 restée dans toutes les mémoires, que Mac Mahon s’est écrié « Que d’eau, que d’eau ! » Ensuite, les avis divergent : l’aurait-il dit à Toulouse même, ou en approchant de Toulouse ? Certains prétendent qu’il l’aurait dit à Moissac, mais dans ce cas il ne peut s’agir que de la crue du Tarn (la crue du canal du Midi étant tout de même fort improbable). Il l’a peut-être dit à plusieurs endroits (comme nos hommes politiques qui recyclent devant divers auditoires les mêmes anecdotes et histoires drôles). Il faudrait demander aux anciens qui y étaient.

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  4. Les républicains ne se lassaient pas de le brocarder sur ce type de phrase (ou de platitude) dont Mac Mahon était dit-on coutumier.

    Pour illustrer ceci rien de tel que ce petit quatrain, « un poil » érudit 🙂

    « Mac-Mahon, l’illustre vaincu,
    Loyal, mais avide de gloire,
    Tient à se faire dans l’histoire
    La même place que Monck eut. »

    Bye

    Olivier Stable

    PS pour Marguerite : Un biographe du maréchal, Monsieur De La Provostière, a tenu à faire de la sortie de son héros un « moyen spirituel » d’en finir avec un long discours qu’il devait subir sur la crue….à Toulouse.

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