7 décembre 1909 : Ma femme bouleverse encore notre salon

Nos meubles ne ressemblent à rien mais ce sont « nos » meubles. Nous sommes attachés à ce mélange improbable de sièges bon marché Napoléon III, de guéridons et lit Modern Style achetés dans des ventes aux enchères et de vieux meubles de campagne beaujolaise délaissés par le reste de la famille.

Ils ont tous une histoire. Le fauteuil en acajou par exemple, au dossier élevé et cambré, rappelle le style Louis XV à ceux qui ne le connaissent pas vraiment. Sa garniture conserve, malgré les efforts de nettoyage de la bonne, les souvenirs des digestions parfois difficiles de nos trois enfants à leur jeune âge.

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Notre cher fauteuil Napoléon III garde en souvenir les fins de biberon de nos trois enfants et son état s’éloigne malheureusement de celui de cette magnifique pièce de musée

Quant aux chaises légères en poirier noirci (pour faire ébène en moins cher), elles finissent de perdre leur peinture dorée sensée « faire chic » lors de l’achat. Nous en avions six, il en reste cinq. L’une a littéralement explosé sous le poids de la tante Hortense.

Le secrétaire fait apparaître lui aussi, sournoisement, un bronze de médiocre qualité caché pendant dix ans sous des dorures plaquées par galvanoplastie. Seul le décor du panneau du fond mettant sur un même plan Jeanne d’Arc, Roméo et Juliette, reste intact, sans que je comprenne bien le lien entre les trois héros, mis à part le désir des marchands des faubourgs de plaire au public le plus large. Le haut des pieds qui paraissait en argent se révèle en ruolz et explique le prix, somme toute modique, de ce meuble dont le style rappelle l’Ancien Régime… vu par un myope.

Je ne parle pas de la causeuse trois places avec ses montants rocailles d’un goût douteux qui devait inciter quelques amis philosophes ou écrivains à leurs heures, à venir deviser chez nous sur des thèmes variés. Elle a surtout servi de tremplin à nos chères têtes blondes (les nôtres et celles des amis). Le velours initialement rouge de l’assise est devenu rose pâle aux endroits où les petits pieds de nos jeunes gymnastes pouvaient le mieux rebondir.

L’ensemble du mobilier est équipé de roulettes, comme tout ce qui a été produit industriellement sous le Second Empire. Ainsi, notre salon peut changer de disposition et d’aspect au gré des humeurs de mon épouse.

Il y a un an, je m’étais laissé convaincre par « la nécessité d’occuper l’espace près du balcon pour mettre en valeur notre grand salon ». Sitôt dit, sitôt fait : les meubles avaient tous changé de place sous l’effet d’une tornade aussi créatrice qu’enthousiaste.

365 jours plus tard, il faut, me dit ma femme, se rendre à l’évidence : « il est un peu idiot de passer son temps à enfiler, pour se réchauffer, des gros gilets en tricot à proximité des vitres glacées. Le déplacement du mobilier servant le plus souvent, vers la chaleur de la cuisine, s’impose. ». Sitôt dit, sitôt refait : nos meubles viennent à nouveau de migrer pour prendre leurs quartiers d’hiver.

Ces mouvements ne coûtent pas cher et provoquent d’intenses débats avec les enfants (surtout l’aîné) et la bonne qui est attentive à la facilité pour elle de faire le ménage.

Pour ma part, je reste neutre et donne un coup de main lorsque certaines roulettes se cassent sous des meubles lourds. Un seul chose compte : le préservation d’un espace tranquille où mon encrier, ma plume et du papier m’attendent pour écrire ce journal.

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3 commentaires sur “7 décembre 1909 : Ma femme bouleverse encore notre salon

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  1. Dans la biographie…. le mieux est l’ennemi du bien.

    Kafka n’a rien publié de son vivant,
    et personne ne connaissait Kafka avant sa mort, et a fortiori avant la guerre de 14…
    Sauf dans la communauté juive de Prague, et peut-être parmi les acteurs et les auteurs du théâre Yiddish de Paris, qui devaient avoir des relations avec les troupes de l’Empire/Royaume ( K und K ).
    Kafka est vraiment LE nom à éviter, si on veut présenter des  » relations  » …

    J’ai lu la biographie avant de lire la présentation du blog,
    with an open mind, ready to accept this as an old diary,
    redécouvert et publié;
    mais quand j’ai lu KAFKA, j’ai éclaré de rire…. pipo…

    De plus, avant 14, les diplomates allaient à Vienne, et non pas à Prague, qui n’était pas une ville diplomatique… seulement la capitale d’une province de l’Empire/Royaume, sans aucune activité internationale…

    Désolé, la découverte des anachronismes et des erreurs dans les films et les romans, c’est quasiment un réflexe …

    Pierre

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  2. Mon cher Pierre
    Tout ce journal repose entièrement sur des décalages, des redécouvertes (assises sur une documentation solide) et une bonne dose d’humour. Vous citez Kafka ? Mais avez-vous remarqué que mon héros a aussi rencontré De Gaulle (qui était tout juste entré à Saint Cyr ) ? Freud (inconnu en France et pas traduit dans notre langue à l’époque) ? Albert Londres (encore petit chroniqueur) ? Sans parler de la rencontre de la nièce d’Olivier le Tigre avec un ascendant des Kennedy ou de l’arrivée dans le décor d’un certain… Coppola.
    Bref, à mon tour de vous faire remarquer que votre critique est incomplète, la découverte « d’erreurs » totalement insuffisante. Il vous faut lire d’urgence tous les autres articles de ce journal pour compléter votre action « réflexe » (vous apprendrez, au passage, beaucoup de choses)… en espérant que vous vous laisserez aller, enfin, à un peu de détente et que l’ironie des 500 pages de ce blog vous fera, un moment, sourire.

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