3 décembre 1909 : Je préfère les femmes « en cheveux »

Insupportable ! Je me penche à droite, puis à gauche. En me redressant complètement, j’arrive enfin à voir la scène et la pièce de Feydeau jouée ce soir à la Comédie Royale, rue de Caumartin. Je peste contre l’immense chapeau de la dame de devant : des fleurs et des plumes bizarres agencées de façon complexe, tout en hauteur. Il ne manque que les faux fruits qui ornent, en revanche, le couvre-chef de sa voisine.

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Les chapeaux magnifiques et spectaculaires des années 1900

Tout cela est exaspérant. Le théâtre a beau mettre dans son règlement intérieur que les chapeaux sont interdits dans la salle, les ouvreuses n’osent pas faire de réflexions à quelques grandes dames qui ignorent superbement cette disposition. Ces dernières n’imaginent pas de paraître tête nue, « en cheveux », dans la rue, au restaurant ou au théâtre.

Je suis à présent droit comme un « i » et profite d’un angle de vision retreint entre deux plumes de l’élégante de devant qui reste indifférente à ma gêne. Je reste ainsi un bon quart d’heure dans cette position raide qui me permet de ne pas rater les évolutions de la scène de ménage grotesque qui ouvre la pièce à succès « Feu la Mère de Madame ».

Soudain, une main gantée de blanc se pose délicatement sur mon épaule. Une jeune femme toute menue, assise derrière moi, me glisse à voix basse, à l’oreille, avec timidité mais aussi beaucoup de tact : « Pardon Monsieur de vous importuner. vous êtes grand, savez-vous. Pouvez-vous, si cela vous est possible, vous caler un peu dans votre fauteuil ? Vous serez mieux assis et je pourrai ainsi regarder la pièce. Votre tête dépasse très largement votre fauteuil et je ne vois, moi qui suis petite, malheureusement rien.»

Je pousse un profond soupir, réfléchis, pèse le pour et le contre, pour lui répondre enfin :

«  Ne craignez-rien, chère Madame, je sors ! »

Furieux, je dérange toute la rangée avec brusquerie puis quitte la salle… non sans avoir réclamé au vestiaire, sur un ton sec, mon beau chapeau melon.

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Vous aimez ce site ? Votre journal préféré, « Il y a un siècle », devient aussi un livre (le blog continuera). Le 3 décembre, dans toutes les (bonnes) librairies :

« Il y a 100 ans. 1910 » http://www.oeuvre-editions.fr/Il-y-a-100-ans  

7 commentaires sur “3 décembre 1909 : Je préfère les femmes « en cheveux »

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  1. Votre billet me fait penser à une ancienne caricature de Lucien Métivet paru dans « Le Rire » début 1897 je crois. Deux personnages, un « indigène » d’un côté, une parisienne de l’autre, avec cette légende : « Des plumes, des verroteries, une étoffe à fleurs barbares et des peaux de bêtes … Des peaux de bêtes, une étoffe à fleurs barbares, des verroteries et des plumes … » La coiffe de l’un valait bien celle de l’autre …
    Votre dévoué,

    Octave Dardenne.

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  2. Question stupide : le livre est intitulé « 1910 » : cela signifie-t’il qu’il contient des chroniques inédites ici décrivant « l’année prochaine » ? Et vous pouvez me dire la vérité car quelle qu’elle soir, j’achèrterai ce livre. Merci pour ce blog.

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  3. Cher Joey
    Oui, tous les événements propres à l’année 1910 font l’objet d’une chronique inédite dans le livre qui n’a, par hypothèse, pas été publiée dans le blog. A ces chroniques nouvelles, s’ajoutent des reprises des meilleurs articles du blog avec des illustrations supplémentaires.
    Deuxième bonne nouvelle : pendant toute l’année 2010, je m’attacherai à faire des chroniques inédites dans le blog et donc différentes de celles du livre (mon héros a tellement de choses à raconter sur l’année 1910 que deux supports suffisent à peine).
    Troisième bonne nouvelle : je travaille déjà sur l’année 1911, pour une suite au livre….
    Bonne lecture !
    L’auteur

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