15 octobre 1909 : On tire sur le préfet de police !

Nous sommes après la première charge de la garde républicaine. Les manifestants ont été repoussés bien au delà du 34 boulevard de Courcelles où réside l’ambassade d’Espagne. Les cris continuent à fuser : « Vive Francisco Ferrer ! A bas le clergé ! A bas Alphonse XIII ! » Le préfet de police Lépine fait le point, rue Legendre, derrière le bâtiment diplomatique, avec M. Touny, directeur de la police municipale et deux commissaires divisionnaires. Ils sont tous les quatre situés entre les rangs bien serrés de la police et ceux de la foule en colère.

ferrer-emeute.1255581959.jpg

Les manifestations spontanées en faveur de Francesc Ferrer vont tourner à l’émeute

Soudain, trois en quatre jeunes gens se détachent et avancent résolument vers le préfet. Celui-ci se dirige à son tour vers eux en prononçant ces quelques mots : «  Messieurs, soyez raisonnables… »

Il n’a pas le temps de finir sa phrase. Un des quatre types brandit un revolver dans sa direction et tire plusieurs coups. Les balles sifflent autour du préfet sans l’atteindre mais touchent des gardiens de la paix alignés plus en retrait qui s’effondrent. Le soir, l’un d’entre eux, l’agent cycliste Dufresne, meurt.

Comment en est-on arrivé là ?

Tout avait pourtant bien commencé. Durant l’après-midi, des Parisiens s’étaient rassemblés par groupes plus ou moins compacts pour faire part de leur désappointement à la suite de l’exécution par le pouvoir espagnol de Francesc Ferrer, l’instituteur épris de liberté et luttant pour l’instruction populaire en Espagne.

Dans les rangs des manifestants, chacun y allaient de son anecdote sur « Francisco », longtemps réfugié en France et bien connu de nombreux socialistes. Untel indiquait qu’il a avait relu sa célèbre méthode permettant d’apprendre l’espagnol « presque sans peine », tel autre faisait part de ses longues conversations sur la création de sa maison d’édition en français ou en espagnol, enfin chacun s’accordait pour conclure au rayonnement charismatique de celui qu’il serait imprudent de qualifier trop facilement d’anarchiste.

Les défilés restaient calmes, la police bien présente se contentait de disperser les groupes trop denses.

Puis, vers huit heures, la ligne 2 du métropolitain a commencé à acheminer sur les lieux des bandes d’Apaches. Dix puis vingt… une centaine bientôt, trois-cents au bout d’une heure. Violents, décidés, des bouteilles d’alcool dans leurs poings, des foulards sur le visage, ils arrachent tout ce qui leur tombe sous la main pour l’envoyer sur les policiers : chaises de bistrot, pavés, planches de bancs publics, plaques de fonte protégeant le bas des arbres… Ils cassent tous les becs de gaz et tordent les réverbères.

Certains sont armés : couteaux, revolvers… Ils sont déterminés et veulent en découdre voire tuer.

Le drame survient peu après.

Réunion, ce soir, dans le bureau du Président du Conseil Briand. Les visages sont graves, tendus. Le préfet de police a la joue gauche éraflée, ses yeux le piquent violemment : les balles l’ont rasé et des grains de poudre semblent s’être logés non loin des nerfs oculaires.

Briand, pâle comme un linge demande : « …et le policier touché à votre place ? » 

On lui répond qu’il vient de succomber, dans d’atroces souffrances, de ses blessures à la poitrine. Briand reprend alors, en soupirant :

« Toute cette violence, toute cette violence… Francisco Ferrer que je connaissais bien et avec lequel je correspondais encore il y a peu, ne méritait pas cela. Il faut organiser une grande manifestation solennelle et pacifique dans Paris où chacun puisse s’exprimer dans la dignité et le recueillement. Pas de slogan, pas de bruit. Une marche dans le silence impressionnera le pouvoir espagnol en place. « 

Le préfet de police prend des notes, oublie sa douleur, ne proteste pas d’avoir à superviser un nouveau rassemblement à haut risque et se dit qu’une fois de plus, les objectifs politiques et symboliques l’emportent sur les quelques états d’âme qu’ils pourraient avoir, lui et ses équipes.

En achevant de rédiger ses instructions pour une police parisienne déjà éprouvée, Lépine porte machinalement son mouchoir contre sa joue.

Une goutte de sang commençait à perler.

3 commentaires sur “15 octobre 1909 : On tire sur le préfet de police !

Ajouter un commentaire

Laisser un commentaire

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑