13 octobre 1909 : Ferrer fusillé, Briand trop sûr de lui

Ferrer a les yeux bandés. Il repense à son projet éducatif de l’Ecole Moderne, à sa lutte inlassable contre l’obscurantisme en Espagne. Il serre les poings d’avoir été la victime d’un procès sans preuve où le verdict était connu d’avance. Les soldats du peloton d’exécution de la caserne de Barcelone le mettent en joue et tirent. Ils viennent de tuer un innocent et de scandaliser l’Europe entière.

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L’instituteur Francesc Ferrer arrêté, accusé à tort d’avoir fomenté des troubles contre l’envoi de troupes espagnoles au Maroc

Plus de mille kilomètres plus loin, à Paris, Aristide Briand, Président du Conseil, plane sur un petit nuage. Il a prononcé quelques jours plus tôt un grand discours à Périgueux où il a affirmé que le Gouvernement devait avoir une ligne ferme, dans une France pacifiée et réconciliée avec elle-même. Il a laissé entrevoir que le mode de scrutin pourrait être réformé pour que le Parlement soit plus au service de l’intérêt général. Son public populaire buvait ses paroles et la Presse salue unanimement, sur plusieurs jours, un discours qui révèle un grand homme d’Etat.

Une exécution d’un côté, un discours réussi de l’autre. Un point commun : la réunion d’aujourd’hui avec le préfet Lépine. Un sujet : faut-il ou non autoriser les manifestations de protestation en faveur de Francesc Ferrer ?

Lépine a ses renseignements : les milieux ouvriers anarchisants sont exaspérés et veulent punir les représentants de l’Etat espagnol. On pense que des armes circuleront dans les rangs des manifestants et que les réunions de protestation risquent de tourner à l’émeute. Il suggère donc d’interdire tout rassemblement pour que la police ait les mains libres.

Briand ne l’entend pas de cette oreille. Sûr de lui depuis son « succès de Périgueux » , persuadé de « sentir le pays profond » et « l’âme du peuple », il n’écoute pas les conseils du Préfet.

« Monsieur Lépine, je sais ce qu’est une manifestation… pour en avoir organisé quelques-unes. La mort de Ferrer provoque une émotion légitime chez nos compatriotes. Ils doivent pouvoir défiler et le pouvoir espagnol tremblera d’avoir accepté une telle injustice. »

Soutenant le préfet, j’obtiens cependant que l’on masse la garde républicaine devant l’ambassade d’Espagne, boulevard de Courcelle. Il ne faudrait pas que des diplomates soient lynchés. La France perdrait sa place de puissance européenne raisonnable et digne.

Quand la rencontre place Beauvau s’achève, Lépine, dépité, me confie :

« Quand on dirige l’Etat, il ne faut jamais être trop sûr de soi. Votre Patron devrait écouter les alertes d’un préfet. » Ne trouvant guère de mots pour défendre Briand, je propose simplement au haut fonctionnaire de venir le rejoindre dans les rues de Paris quand les défilés commenceront.

A suivre…

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Francesc Ferrer, victime d’un procès scandaleux

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13 commentaires sur “13 octobre 1909 : Ferrer fusillé, Briand trop sûr de lui

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  1. C’est nous qui vous remercions pour vos articles de qualité, nous permettant de nous replonger 100 ans en arrière dans un passé réel ou fantasmé, toujours bigrement prenant quand exposé par votre plume.

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  2. Je m’associe aux commentaires précédents. Les sujets sont remarquablement bien documentés tant sur l’intérieur que l’extérieur. L’écriture est belle et souple. Mais le ton est parfois… comment dirais-je? Radical?

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  3. Je suis fan aussi. L’air de rien, en nous faisant voyager et sans ajouter à la glose sans fin de beaucoup d’auteurs autour de l’actualité, vous éclairez celle-ci d’un jour… atemporel.
    Bon anniversaire!

    (Au fait, vous avez parlé de cette hospitalisation incongrue et absurde à l’hôpital Sainte-Anne… qu’en est-il de ces traitements que nous promettaient Charcot, Lassègue et leurs disciples français et étrangers? Et comme j’ai un autre sujet qui me tient à cœur, nous donnerez-vous parfois des nouvelles des départements perdus d’Alsace et de Lorraine?)

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