16 août 1909 : K comme Kitchener

 Un homme qui aurait pu humilier la France et qui s’est bien gardé de le faire, un général anglais réputé comme inflexible, doué en fait d’un vrai sens diplomatique : il faut rendre hommage à lord Kitchener.

Cela peut choquer. L’adversaire du sympathique et valeureux commandant Marchand lors de l’incident de Fachoda, c’est lui. En novembre 1898, il reste seul en place avec ses 20000 hommes dans cette place forte du haut Nil pendant que l’officier français doit ranger son drapeau tricolore après avoir reçu l’ordre gouvernemental d’évacuer les lieux avec les 150 tirailleurs qui l’accompagnent.

Herbert Kitchener, le froid et calculateur Kitchener contre le séduisant Marchand ? La force implacable de plusieurs régiments surarmés contre le « génie français » personnalisé par un homme presque isolé ? Pas si simple.

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Le général britannique Herbert Kitchener. Cet article est la suite de l’abécédaire sur notre époque commandé par la direction du jounal Le Temps.

Le temps a passé et il faut revenir sur ce moment douloureux de notre histoire qu’est Fachoda et montrer que Kitchener n’a pas été le monstre froid que l’on décrit souvent.

Notre homme parle français, a passé toutes ses vacances d’enfant en Bretagne et s’est engagé dans les troupes mobiles françaises en 1870. Comme ennemi de la France, on fait mieux.

Et puis Fachoda est d’abord un échec français avant d’être une victoire britannique.

Echec gouvernemental : les Français ont été incapables de se mettre d’accord sur une stratégie claire : conquérir le Soudan et agrandir l’Empire vers l’est africain ou se contenter de limiter les ambitions anglaises en haute Egypte et préserver le caractère international de régions proches du canal de Suez ?

Au-delà de cette ambiguïté, le pauvre Marchand n’a cessé de recevoir des consignes contradictoires, floues et parfois à contretemps, de l’Elysée, de la présidence du Conseil, du ministère de la Guerre ou du département des Colonies.

Echec administratif et militaire : le général Kitchener dispose d’une véritable armée pour soutenir les ambitions claires de sa gracieuse majesté alors que Marchand doit se contenter de troupes coloniales étiques, de matériel et d’armement réduits et de renseignements inexacts sur les intentions réelles de la Grande Bretagne.

Une Angleterre sachant définir une politique extérieure cohérente balaye sans difficulté une France empêtrée dans ses contradictions, son incapacité à définir une stratégie au-delà des 48 prochaines heures et ses luttes de pouvoir internes.

Et c’est là que le talent de Kitchener se révèle. Confiant dans la capacité de son pays à faire aboutir sa mission, il évite soigneusement l’affrontement -même verbal- avec Marchand. Courtois, soucieux de l’honneur de son malheureux adversaire, il entretient le dialogue et accepte que les couleurs françaises soient hissées pendant de longues semaines jusqu’à ce que le gouvernement parisien prenne enfin une position après de longues et lamentables hésitations.

Par son attitude qui a permis à Marchand de rentrer en Métropole la tête haute, Kitchener a facilité la poursuite du rapprochement France/Angleterre. Sans cette démarche responsable, l’Entente cordiale future aurait été rendue impossible par l’opinion publique des deux pays.

Il faut parfois rendre hommage aux soldats du camp d’en face, aux officiers étrangers qui ont défait un Etat français mal organisé tout en respectant la nation française. Il faut rendre hommage au général Kitchener.

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Contrairement à ce que pensent les caricaturistes français cocardiers, l’Angleterre s’est bien gardée d’être un « loup » lors de la crise de Fachoda…

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La mission « Marchand » reste un bon résumé de la France de notre époque : de l’audace, du courage et de l’ingéniosité mais un gouvernement faible qui tergiverse, une organisation administrative métropolitaine peu efficace et au final, une politique extérieure illisible.

6 commentaires sur “16 août 1909 : K comme Kitchener

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  1. L’hommage est rendu et vous l’avez fort bien fait passer.
    A noter que Kitchener a fait dans son enfance quelques études en Suisse, qui l’ ont sans doute aidé dans l’art du compromis…

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  2. Certes, mais Kitchener est aussi célèbre pour la création des camps de concentration lors de la sanglante guerre des Boers. Alors, de là à lui rendre hommage… il y a un pas que je ne franchirai pas.

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  3. Merci Bison de rappeler cette autre (très triste) aspect de la carrière de Kitchener. La dureté de ce général lors de la guerre des Boers a été dénoncée par la presse britannique et par un certain… W. Churchill.
    L’auteur

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  4. On pourrait aussi ne pas oublier la bataille d’Omdurman au cours de laquelle Kitchener prit le contrôle du Soudan. Elle a été relatée par W. Chuchill dans un texte célèbre qu’on trouve au site ci-dessous :

    fordham.edu/halsall/mod/1898churchill-omdurman.html

    Conclusion d e Churchill :

    Thus ended the Battle of Omdurman—the most signal triumph ever gained by the arms of science over barbarians. Within the space of five hours the strongest and best-armed savage army yet arrayed against a modern European Power had been destroyed and dispersed, with hardly any difficulty, comparatively small risk, and insignificant loss to the victors.

    [Editor’s Note: The Dervish Army, approximately 52,000 strong, suffered losses of 20,000 dead, 22,000 wounded, and some 5,000 taken prisoner–an unbelievable 90% casualty rate! By contrast, the Anglo-Egyptian Army, some 23,000 strong, suffered losses of 48 dead, and 382 wounded–an equally unbelievable 2% casualty rate, thus showing the superiority of modern firepower!]

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  5. Je ne vais pas défendre Kitchener pour son attitude pendant la guerre des Boers… mais je rappellerai que la première Convention de Genève (1864) ne codifiait pas comme plus tard les droits des prisonniers et les devoirs de ceux qui les gardaient (elle restait dans des termes très généraux, même si généreux)

    Il faut toujours bien se garder de juger des faits passés avec les yeux de notre époque.

    Winston Churchill s’est ému de la politique de Kitchener? C’est tout à son honneur, mais plus tard, en 1944, je ne sache point qu’il ait protesté quand les généraux commandant les troupes aéroportés d’Overlord ont, en employant l’euphémisme, expressément signalé à leurs hommes que « des prisonniers les entraveraient dans leur mission » Ni que les bombardements dits « stratégiques » sur des zones exclusivement civiles et sans impact économique (Dresde par exemple) l’ait ému: à l’époque c’est son propre Parlement qui l’a interpellé début 1945, choqué par cette « bavure » de la RAF; la roue tourne…

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    La guerre des Boers fut une guerre atroce (y-en-a-t-il qui ne le sont pas, d’ailleurs?) et la supériorité militaire anglaise incontestable était tempérée par l’éloignement. Les Boers aussi, ont commis des atrocités et le vaincu apparait toujours plus sympathique que le vainqueur (même si dans la pratique, en droit il n’y a pas de criminel de guerre chez les vainqueurs)… surtout quand le vainqueur est incontestablement l’agresseur (cas de l’Angleterre contre les Boers)

    ****************

    Pour en revenir à Fachoda, vous avez fort bien souligné la différence entre la mission Kitchener qui se déroulait dans un cadre strict avec des instructions précises, et la mission Marchand soumis à des directives contradictoires. D’où le résultat.

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  6. Impressionné par les commentaires précédents ! Je n’ajouterai donc rien. Mais pourquoi sortir Kitchener en 1909 ? Fachoda, si j’ai bien compris, c’était en 1898 ? Que faisait ce général en 1909 ? Cordialement. Irnerius

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