10 août 1909 : G comme guerre

 Jamais la guerre ne nous a paru aussi loin.

Le service militaire a été réduit à deux ans par une loi de 1905 ; les dépenses d’armement se stabilisent au profit de ministères pacifiques comme l’Instruction publique.

La France a le sentiment de ne rien avoir à craindre, protégée qu’elle est par la triple Entente, cet accord défensif avec les deux grandes puissances que sont la Russie et la Grande Bretagne.

Notre Empire colonial, notre industrie innovante, la puissance de la place financière parisienne, nous donnent le statut d’un pays respecté et respectable.

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1870 est presque oubliée, les jeunes générations n’ont pas connu la guerre tandis que leurs aînés ont du mal à imaginer ce qu’un nouveau conflit pourrait signifier.

La France s’étourdit avec les premiers ballets russes, danse dans les guinguettes le dimanche, suit le Tour de France et lit avec avidité les feuilletons dans des journaux qui n’ont jamais été aussi plaisamment illustrés.

Et pourtant, les diplomates du Quai d’Orsay produisent régulièrement des analyses qui devraient modérer notre optimisme.

Les Balkans se recomposent, dans des soubresauts souvent imprévisibles, sur les décombres laissés par l’Empire Ottoman: la Serbie, notamment, alliée de la Russie, nargue une Autriche maladroite et nostalgique de sa puissance passée. Cette dernière cherche à s’agrandir au sud et espère compenser une énergie interne perdue par une politique extérieure ferme voire agressive.

L’Allemagne peine à aller jusqu’au bout de la logique démocratique et confie toujours son destin à un Guillaume II fantasque et imprudent.

L’Angleterre, l’Allemagne et les Etats-Unis sont engagés dans une ruineuse course aux armements et alignent des cuirassés plus rapides, mieux armés et au tonnage chaque jour plus important.

La guerre des Boers et le conflit russo-japonais ont montré que la guerre moderne n’est pas seulement une question d’infanterie nombreuse : la victoire vole au secours de celui qui a l’armement le plus moderne (canons lourds, mitrailleuses…) et dispose du meilleur système de ravitaillement.

Notre frontière nord est menacée par le plan d’invasion allemand, dit plan Schlieffen. Nous en connaissons les détails grâce à nos services secrets et nous savons qu’il prévoit un viol délibéré de la neutralité belge pour faire fondre sur nous des centaines de régiments sensés nous vaincre en quatre semaines.

Face à ces menaces, précises, que fait notre Etat-major ?

Il rêve de Napoléon !

Les cours de l’Ecole de Guerre sont farcis de références à Austerlitz, Wagram ou Iena. Chaque général en vue imagine ses troupes engager des grands mouvements tournants et enveloppants ou fondre brusquement sur un centre adverse affaibli par telle ou telle habile manœuvre d’usure. La rapidité, l’offensive, la mobilité de centaines de milliers d’hommes courageux et patriotes sanglés dans leurs beaux uniformes avec un pantalon garance… alors que tout semble maintenant se jouer dans les usines et sur les tables de dessins des ingénieurs. Nos fusils Lebel et nos canons de 75 ne pèseront pas bien lourds face à une Allemagne qui a compris que tout se gagne dans le calibre des obus et l’habilité des artilleurs.

La guerre n’a pas lieu parce qu’aucun pays d’Europe ne se sent prêt, aujourd’hui, d’un point de vue militaire. L’Allemagne se dote d’une marine plus forte, l’Autriche réorganise ses divisions, la Russie équipe ses troupes … mais chacune attend son heure en imaginant une victoire rapide.

Et pendant ce temps, la France s’amuse et les généraux d’Etat major étalent devant eux de grandes cartes colorées et jouent avec leurs petits soldats de plomb.

4 commentaires sur “10 août 1909 : G comme guerre

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  1. Les dits soldats de plomb sont africains sur la photo, très représentative des débuts de l’époque « Y a bon Banania ». Ils ne sourient guère ces « Sénégalais » fraternisant, qui constitueront les premiers lots de chaire à canon.

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  2. Attention a la vérité !
    Votre blog est très interessant dans la manière qu’il a de traité honnetement et d’un point de vue d’époque aux sujets de l’époque, mais personne n’était au courant du Plan Schlieffen ! De même qu’en 1909 et même en 14, nos canons de 75 était les meilleurs canons de taille intermediaire (utilisé par les Allemands jusqu’en fin 42 sur le front de l’est)

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  3. Si, le plan Schlieffen était en possession des services secrets français qui l’avaient dérobé bien avant 1914… mais l’état major ne l’a pas exploité. Par méconnaissance de sa signification ?

    Les principaux scénarii possibles d’invasion étaient en outre connus (dans leurs grandes lignes) des politiques et de la presse. Cela ne veut pas dire que la France se préparait convenablement.

    Quant à l’artillerie, l’Allemagne possèdait une supériorité incontestable sur les canons lourds. Le canon de 75, français, par définition plus léger, était déjà de création relativement ancienne (1897) mais effectivement, pas encore dépassé sur ce type de calibre.

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