« C’est un insecte politique génial qui sent, du bout des doigts, les antennes de chacun des parlementaires. Il prononce ainsi exactement au bon moment les mots que la Chambre veut entendre. »
Briand, le « monstre de souplesse ». Cet article est la suite de l’abécédaire sur notre époque, commandé par le journal Le Temps.
Les commentateurs de la vie politique se montrent plus élogieux que les parlementaires eux-mêmes. Le discours de gouvernement de Briand prononcé à sa prise de fonction le 27 juillet dernier n’a guère suscité d’enthousiasme dans l’hémicycle. Souci de poursuivre l’élaboration de nouvelles lois sociales, volonté de continuité du service public – les grèves de fonctionnaires ne seront pas plus tolérées que sous Clemenceau – apaisement des querelles entre Français et union nationale… L’audace se niche parfois dans le verbe manié avec adresse, dans la voix qui laisse passer une pointe de poésie mais le fond reste centriste et gomme toute aspérité réelle.
« Il va nous faire du Clemenceau sans poigne » lâche un parlementaire de droite, « cet homme n’a que des idées de tribune » renchérit cruellement un autre.
Les milieux d’affaire, la presse à fort tirage et les ambassadeurs des grandes puissances saluent cependant l’arrivée de cet homme rassurant qui veut le progrès social mais « dans l’ordre républicain ». Adrien Hébrard, gérant du Temps comme Gaston Calmette patron du Figaro, Le Petit Journal comme Le Petit Parisien, lui tressent des couronnes de louanges à longueur d’éditoriaux.
Quelle revanche pour ce fils de milieu modeste, cet ancien avocat sans le sou, cet homme longtemps méprisé des puissants ! A force de travail (Briand est un faux dilettante), grâce à son sens inné des rapports de force, l’actuel Président du Conseil s’est naturellement imposé pour succéder au Tigre. Le Président Fallières a fait appel en confiance à celui qui a su ne pas faire un seul faux pas avec son portefeuille précédent de Garde des Sceaux. L’affaire Rochette –cet escroc dont la déconfiture mouille beaucoup de personnalités – a été gérée d’une main de maître. Seul le coupable se retrouvera en correctionnelle et le gouvernement radical qui aurait pu être visé, passe à travers les gouttes. Les poursuites contre les syndicalistes se rendant coupables de grèves ou de manifestations illégales, ont aussi été effectuées avec doigté : ce qu’il faut de fermeté pour décourager d’autres actions de ce type avec cependant une bonne capacité à « passer l’éponge » vis-à-vis de ceux qui se montraient constructifs et coopératifs.
Briand, « monstre de souplesse » comme le dit Barrès, évite les crevasses, les chausses trappes et pièges d’une République complexe. Ce bon marcheur saura-t-il avancer cependant suffisamment vite pour mener à bien des réformes commencées ou annoncées par le ministère précédent ?
Ne pas faire de faux pas se révèle une excellente chose quand on ne se contente pas de faire du sur-place.
Ne pas faire de faux pas et ne pas faire du sur-place. Dur ! Dur ! Mais belle trajectoire sociale ascendante
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