22 mai 1909 : Je recrute « Lawrence d’Arabie »

Mission du moment peu évidente : trouver un ou des jeunes gens capables d’effectuer des opérations secrètes au Proche-Orient, dans cet empire ottoman en pleine décomposition et soumis aux convoitises de toutes les puissances européennes. Les conditions à remplir ? Parler au moins l’anglais et le français, être à l’aise dans les pays arabes, posséder une solide culture générale facilitant la compréhension des enjeux complexes de cette région et enfin être un sportif accompli. Pas évident de mettre la main sur l’oiseau rare.

Les officiers du 2ème bureau sont trop vieux, pas assez mobiles ; les diplomates français ne veulent à aucun prix servir pour l’armée ; les jeunes Saint-Cyriens se méfient d’une carrière dans les services secrets qui n’ont pas toujours une réputation de grande droiture. Mes recherches sont donc jusqu’à présent restées vaines et c’est le pur hasard qui me fait tomber, ce jour, sur un personnage hors du commun.

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Les cheveux clairs, élancé, le menton volontaire, issu d’Oxford, c’est un Anglais de vingt-deux ans qui parle notre langue presque sans accent. Il a déjà voyagé au Proche Orient…

Les cheveux châtains clairs, élancé, le menton volontaire, issu d’Oxford, c’est un Anglais de vingt-deux ans qui parle notre langue presque sans accent. Vêtu d’une veste de tweed simple mais bien coupée, il a de l’allure dans sa chemise d’un blanc impeccable. Des gestes mesurés, une vraie attention aux préoccupations d’autrui, un léger sourire montrant son empathie, il s’affirme déjà comme un parfait gentleman.

Il a parcouru en tous sens notre pays à bicyclette, seul ou avec des amis et a écrit à sa mère de longues lettres sur nos monuments et cathédrales. Il connaît Chartres, Aigues-Mortes, Carcassonne, le Mont-Saint Michel… Il a tout retenu de notre patrimoine architectural et ses mollets sont durs comme de l’acier.

Mais surtout, il est déjà allé à Beyrouth, Saïda, Tripoli, Damas, Hassan… Là-bas, il a su se fondre dans la population, a commencé à apprendre la langue, les coutumes, avec pour seules ressources son intelligence, ses capacités d’adaptation et un courage physique hors du commun. Marcher en pleine chaleur, dormir peu, après une longue étape, pour repartir à l’aube, ne lui font pas peur et ne l’empêchent nullement de tout retenir de ce qu’il voit et entend, grâce à une mémoire qui ne lui fait jamais défaut.

Notre rencontre a lieu au musée de Rouen où il examine pendant trois jours toute la collection avec un regard de spécialiste. Il écoute ma proposition avec intérêt et pendant que je parle, son regard bleu gris bienveillant, m’invite à aller jusqu’au bout, sans avoir à craindre une mauvaise réaction de sa part.

Il me répond avec tact, courtoisie et humour.

 » Monsieur le conseiller, votre proposition de travailler pour la République française est un grand honneur pour moi. Je suis sensible à votre argument de donner une tournure concrète à l’Entente cordiale entre nos deux pays en engageant un jeune diplômé britannique dans les rangs des services secrets français.

Je ne suis cependant pas sûr d’être l’homme qu’il vous faut. Ma thèse de doctorat sur L’influence des croisades sur l’architecture militaire européenne me prépare mal à vous transmettre des rapports de qualité sur le tracé stratégique de la ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad et sur les tribulations des Allemands à Damas ! Je me vois plus faire des fouilles tranquilles près de l’Euphrate pour le Magdalen College que surveiller les agents en casque à pointe du Kaiser. 

Ma passion pour le monde arabe s’accommode plus d’activités civiles et pacifiques que de missions militaires. Et puis, je suis, avant tout, sujet de sa gracieuse Majesté. Je lui dois fidélité absolue. Aider la République française, pourquoi pas ? Mais je ne peux pas prendre votre uniforme…  »

Je ne me décourage pas de cette réponse et prend ses coordonnées sur un petit carnet.

 » Cher ami, je note votre nom sur mon calepin de cette façon : Thomas Edward Lawrence, l’Anglais qui parle trois langues et comprend, déjà très jeune, le Proche Orient. A toutes les capacités pour nous aider dans la région. Transmettre au 2ème bureau une fiche, en lui donnant pour nom de code : Lawrence d’Arabie.  »

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Bien penser à transmettre au 2ème bureau une fiche en lui donnant pour nom de code : « Lawrence d’Arabie »…

4 commentaires sur “22 mai 1909 : Je recrute « Lawrence d’Arabie »

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  1. Pardonnez-moi c’est très intéressant mais comme disait le général de quoi s’agit-il ? une rétro-fiction ? d’un compte rendu d’un roman ? de l’Histoire ?

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  2. Cher Kamel
    Un peu tout cela à la fois… « Il y a un siècle  » est un mélange de faits parfaitement vérifiés (je m’appuie toujours sur une documentation robuste), d’éléments tout à fait vraisemblables … et de roman. Le dosage, la formule exacte sont tenus secrets… et varient suivant les jours.
    C’est un journal historique imaginaire qui ne se prend pas complètement au sérieux.
    Satisfait, mon général ?
    Bonne lecture !
    L’auteur

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  3. Il y a cent ans, en 1910, T.E. Lawrence soutenait sa thèse de Bachelor of Arts en présentant un mémoire sur l’architecture militaire des Croisés. Un spécialiste de l’histoire des Templiers, Monsieur Alain Demurger, excellent dans son domaine, a dérapé il y a quelques années en faisant une critique assez peu argumentée de ce travail de jeunesse de Lawrence. Il n’a même pas vu que l’essentiel de sa démonstration tenait en ce qu’il s’inscrivait à contre-courant de la tendance généralisée à la fin du XIXème siècle et au début du XXème à soutenir que l’architecture militaire médiévale des XIIème et XIIIème siècles devait tout à l’Orient arabe et byzantin. Lawrence avait fait un long périple au Moyen-Orient pour voir un certain nombre de châteaux élévés par les Croisés et put observer que les donjons quadrangulaires qu’on trouvait dans ces constructions offraient des liens de parenté évidents avec les donjons romans visibles en France et en Angleterre, même s’ils portaient les traces d’une influence locale tout aussi évidente. Bien sûr, les différences entre les premiers donjons dûs aux Croisés présentent de notables différences avec les donjons romans de l’Europe occidentale (ne serait-ce que dans l’aspect général et dans le fait qu’en Orient la rareté du bois faisait que l’on séparait les étages par des voûtes en pierre), mais il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui plus un spécialiste ne conteste que les Croisés ont bien élevé leurs donjons dans l’esprit de seigneurs et de chevaliers venus d’Europe et influencés parce qu’ils faisaient ou avaient vu bâtir dans leur pays d’origine, et cela Monsieur Demurger ne l’a pas rappelé. Or, c’est là l’objet de la thèse de Lawrence, qui ne se résume pas, n’en déplaise à Monsieur Demurger, à des questions liées aux différences constatables ou non entre architecture templière et architecture hospitalière. La passion bien compréhensible d’Alain Demurger pour son sujet – les Templiers – l’a donc quelque peu égaré, et il était important de le dire.
    François Sarindar, auteur de « Lawrence d’Arabie, Thomas Edward, cet inconnu ».

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  4. Les croisés ont quand même beaucoup à emprunté à l’orient byzantin et arabe, des cotonnades syriennes (al Koton) aux arbalètes militaires turques en passant, pour l’anecdote, par toute sorte de produits « naturels » qui sont devenus très communs (du safran à l’échalote). Aussi qu’il y ait eu des influences au niveau de l’architecture militaire ne peut guère étonner.

    Pour réconcilier les points de vue, je dirais qu’il est possible que la critique de Mr Duverger, que je n’ai pas lu, portait sur le fait que Lawrence avait centré son analyse sur un certain type de forteresse comme le le Krak des Chevaliers (ordre des Hospitaliers), le chateau du royaume latin d’orient le mieux préservé, ou Montfort, la principale base des chevaliers teutoniques, qui portent manifestement moins de traces d’emprunt (quoique la double enceinte …. voir photo ci-après) que les forteresses des templiers justement, que les spécialistes disent plus proches de celles des sarrasins/byzantins, notamment au niveau du tracé de leurs enceintes.

    Bye

    Olivier Stable

    « Sit tibi copia, sit sapientia, formaque detur ; Inquinat omnia sola superbia, si comitetur »
    Traduction dans l’article Wikipedia bien fournie consacré au Krak

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