18 mai 1909 :  » Il faut démonter la Tour Eiffel ! »

 » Il faut démonter la Tour Eiffel. Il y a 10 000 tonnes de bon acier, de fer puddlé à récupérer. La perspective du Champ-de-Mars sera de nouveau dégagée et rien ne viendra rivaliser en hauteur avec des édifices élevés à la gloire de Dieu comme la Basilique du Sacré-Coeur ou la Cathédrale Notre-Dame. Cette construction hideuse qui a été vilipendée par Charles Garnier, Maupassant, Leconte de Lisle, Paul Verlaine, Victorien Sardou et Sully Prudhomme disparaîtra définitivement du paysage parisien et les riverains du VIIème comme moi pourront retrouver la tranquillité. »

Charles-Louis Durand de Beaudouin fait partie de ces financiers que rien ne rebute. Il se garde bien d’agir à découvert et fait discrètement le siège de tous les cabinets ministériels pour parvenir à ses fins.

Il m’explique avec plusieurs graphiques que l’exploitation du monument n’est pas rentable à terme.

 » La fréquentation a été relativement forte pendant les deux expositions universelles de 1889 et de 1900. Deux millions de visiteurs pour l’année d’ouverture, un petit million pour l’année 1900 et depuis, 200 000 visiteurs par an tout au plus. Cela ne suffit pour assurer la paie des trois cents personnes employées sur le monument. Quand la fortune de Gustave Eiffel sera épuisée, ce sera encore au contribuable de payer ! »

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Caricature de Gustave Eiffel, le génial ingénieur qui compare sa célèbre tour aux pyramides d’Egypte

Durand de Beaudouin n’a pas de chance. Il tombe justement – et sans le savoir – sur le conseiller qui a soutenu Eiffel et d’autres ingénieurs comme le capitaine Ferrié, pour que la célèbre tour serve à de multiples expériences scientifiques : TSF, calculs sur la chute des corps, observations météorologiques, recherches en aérodynamique…

La concession de la Tour est en cours de renouvellement et le rapport que je rédige à l’attention des ministres concernés et de la Ville de Paris ne plaide pas pour un démontage à court ou moyen terme.

Je réponds donc sèchement à Durand de Beaudouin :

 » Les artistes qui ont combattu la Tour et que vous citez, sont maintenant tous morts. Et tous ceux qu’elle fait rêver sont, eux, bien vivants. Ils représentent le monde de demain : les aéroplanes, les communications sans fil, la prédiction du temps… Cette tour légère, élégante, conçue pour résister à un ouragan, dont la hauteur n’a été atteinte par aucun monument étranger devient progressivement une de nos plus grandes fiertés nationales.

Montez à son sommet, prenez de la hauteur, les médecins disent que l’air y est plus pur. Discutez avec ce vieux passionné qu’est Eiffel, jouez un morceau de piano dans son petit bureau aménagé au troisième étage. Bref, oubliez vos calculs financiers idiots, profitez du paysage incomparable qui s’offre à vous quand vous êtes tout en haut.

Il a fallu deux ans, deux mois et cinq jours pour faire émerger cette oeuvre futuriste. La basilique romano-byzantine de Montmartre n’est, elle, toujours pas terminée, 35 ans après la pose de la première pierre. Vous voyez bien que notre pays se porte mieux quand il regarde résolument l’avenir ! »

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Autre caricature de Gustave Eiffel, par Edward Linley Sambourne,  dans la presse étrangère, le périodique « Punch »…

7 commentaires sur “18 mai 1909 :  » Il faut démonter la Tour Eiffel ! »

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  1. Le mot « puddlé » (au début du texte) m’a fait sursauté car à Liège et dans sa banlieue (vieux bassin sidérurgique en Wallonie), il existe plusieurs rues ‘des Pudleurs’ (avec un seul « d ») qui témoignent du glorieux passé industriel de la région dû à l’Anglais John Cockerill. Le célèbre sculpteur Constantin Meunier avait d’ailleurs immortalisé un Pudleur dans le bronze en 1889.

    Vos chroniques sont épatantes car elles font revivre toute une époque mais elles éclairent aussi sous un angle intéressant notre époque actuelle.

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  2. Peut-être plus utile que le précédent, voir
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Fer_puddl%C3%A9

    « Le puddlage est un ancien procédé d’affinage de la fonte consistant à la décarburer (brasser) dans un four à l’aide de scories oxydantes pour obtenir du fer puddlé, plus souple que de la fonte.

    Ce procédé est mis au point par l’Anglais Henry Cort en 1784. La fonte est affinée à très haute température dans un four spécifique. Le puddleur, l’ouvrier chargé de l’opération, est alors chargé de brasser (puddling) cette fonte en fusion à l’aide d’un long crochet appelé ringard. Le matériau peut ensuite être martelé, laminé ou forgé.

    Les arches de la gare de l’Est et la tour Eiffel à Paris sont ainsi réalisées en fer puddlé. »

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