17 décembre 1908 : Et si les domestiques nous lâchaient ?

C’est une histoire que l’on raconte lors des réceptions en ville. Il paraît qu’elle est vraie, c’est cela qui terrifie les bourgeois.

Nous sommes dans un grand dîner chez un médecin renommé de la capitale. Les convives passent à table. La soupe est servie et, cuillérée après cuillérée, on découvre que son goût n’est pas fameux. Polis, les invités restent discrets. Quelques domestiques apportent alors le plat principal et disparaissent définitivement.

Le service s’interrompt ainsi pendant cinq minutes. La maîtresse de maison, après avoir adressé un sourire gêné à ses amis, se lève et va voir l’origine de ce désagrément.

Cinq autres minutes s’écoulent. Le maître de maison quitte lui aussi la pièce s’interrogeant sur ce que devient son épouse. Il ne reparaît pas non plus.

Un silence glacial s’installe. Les invités, inquiets, abandonnent la table en masse et partent à leur recherche dans le grand appartement. Arrivés enfin aux cuisines, ils découvrent leurs hôtes effondrés sur une chaise. Une pancarte est collée au mur sur laquelle on peut lire :  » nous quittons votre sale boîte, nous vous emmerdons. Il y en avait dans la soupe.  »

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Deux domestiques, dans les années 1900

Anecdote intéressante. La montée des syndicats et des revendications ouvrières, le sentiment qu’un ordre social qui paraissait immuable se délite, ne laissent pas de tourmenter les franges les plus aisées de la population.

Tous les foyers petits bourgeois ont au moins une « bonne » voire, en plus, un valet de chambre. Dans les grandes maisons, le personnel domestique dépasse la dizaine. La France compte ainsi plus de deux millions de gens de maisons, gouvernantes, cuisinières, majordomes, maîtres d’hôtel, cochers ou palefreniers. Ils préparent les repas, organisent les réceptions, torchent les jeunes enfants, traquent la poussière, soignent les chevaux… en échange de quelques gages. Nourris, blanchis (par eux-mêmes) et logés, ils vivent dans chacun des foyers, serviles, discrets, efficaces. Ils accourent à la sonnette, disparaissent dès qu’ils semblent gêner. Une part d’entre eux  reste toute une vie dans une même maison, au service d’une même famille. Choyés ici, victimes de caprices inadmissibles dans la demeure d’à côté, ils sont tous dépendants du bon vouloir de leurs employeurs et maîtres.

Et si un jour ils se lassaient de cette condition ? Et s’ils partaient sans crier gare, tous en même temps, en claquant la porte ?

Tremble, bourgeois.

20 commentaires sur “17 décembre 1908 : Et si les domestiques nous lâchaient ?

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  1. Croyez-vous vraiment que les domestiques de la Belle époque fussent capables d’écrire (à part les majordomes, peut-être) ? Je ne crois pas que l’Education nationale ait encore commencé à produire des effets sur un aussi large éventail de la population…

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  2. Bonne remarque mais…
    l’important n’est peut-être pas de savoir s’ils écrivaient… mais ce que se racontaient les classes aisées à cette époque.
    L’anecdote -qui courait vraiment dans les dîners en ville fin 1908 et début 1909 – en dit plus long sur la mentalité et les craintes des milieux bourgeois ou aristocrates de ce début de XXème siècle que sur les gens de maison eux-mêmes.

    l’auteur

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  3. L’épisode du jour, cher Olivier Le Tigre, me rappelle une nouvelle de Maupassant (dont le titre m’échappe) ayant un thème proche de ce que vous racontez. Des domestiques se rebellent dans une bonne maison, sous l’influence d’un ami de la famille, venu en séjour. Un socialiste ! Les domestiques deviennent maîtres du lieux, et les patrons sont contraints à la fuite, d’abord outrés, et ensuite inquiets de leur avenir ! Maupassant est mort en 1893, il est donc peu probable qu’il y ait un lien entre son scénario, et ce que vous racontez 15 ans plus tard.

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  4. Quasiment n’importe quelle famille pouvait se permettre d’avoir du personnel de maison à cette époque bénie. De nos jours, cette facilité apparait comme un luxe inaccessible à l’extrême majorité d’entre nous. Par contre, dans le même temps, on verse des allocations à des centaines de milliers de gens inactifs.
    On se demande par quelle aberration nous en sommes arrivé à cette situation contre productive, il serait bien profitable de reconvertir ces inactifs en personnels de maison qui rendraient notre quotidien plus facile et nous libérerait du temps pour des activités à plus forte valeur ajoutée.

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  5. en 1871, 82% des conscrits savaient lire et écrire, pendant la Troisième République l’effort a porté surtout sur l’alphabétisation des femmes, donc en 1900, une très forte proportion des adultes savaient lire et écrire.
    et donc oui, « ils fussent capables d’écrire… »

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  6. Cher a36x, à l’époque de nos arrières grands parents, des hordes d’instituteurs armés par Jules Ferry enseignaient le français d’excellente manière à toutes les couches de la population française.
    Le certificat d’étude à l’époque équivalait à un niveau de français que peut de bacheliers voire d’universitaires peuvent revendiquer à l’heure actuelle.
    Le niveau d’analphabétisme était moindre en ces temps reculés que de nos jours où le langage SMS triomphe.
    Si vous en doutez, lisez donc quelques lettres de poilus écrites dans les tranchées par des gens de toutes origines dans un français généralement impeccable.

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  7. Cher a37x, vous vouliez certainement dire « peu » de bacheliers ?

    Bref, on peut supposer que s’il était possible de réduire de son impôt 100% des gages versés à un salarié de maison, on constaterait immédiatement moins de chômage et donc moins de misère sociale et sa cohorte de criminalité.

    M’enfin, c’est certainement réactionnaire d’imaginer qu’il vaut mieux servir un bourgeois plutôt que de pointer à l’ANPE.

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  8. « Le certificat d’étude à l’époque équivalait à un niveau de français que peut de bacheliers voire d’universitaires peuvent revendiquer à l’heure actuelle.
    Le niveau d’analphabétisme était moindre en ces temps reculés que de nos jours où le langage SMS triomphe. »

    Encore un nouveau triomphe de la pensée unique. Sur quoi vous basez-vous pour faire ces affirmations complètement fantaisistes ?

    Je préfère pour ma part me baser sur de véritables chiffres et non sur les rumeurs véhiculées par le JT de la télé officielle sarkozienne, cad TF1.

    Allez voir cette enquête de l’INSEE : http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ip959.pdf

    Vous serez probablement navré d’y apprendre exactement le contraire de ce que vous affirmez !

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  9. Il y a egalement de nos jours des « gens de maison » ponctuels, le Service a Domicile en vigueur depuis quelques années deja. Une dame (en general) vient a votre domicile effectuer les quelques taches menageres necessaires; repassage, garde des enfants, provisions…

    La difference est qu’aujourd’hui ces services sont encadrés par l’Etat, et donc aussi bien les beneficiaires de ces services que les prestataires sont reconnus et encadrés.

    Manifestement, certains regrettent une epoque ou les rapports sociaux etaient principalement des rapports de dominants (riches) a dominés (non riches).

    Question: etes vous si certains qu’a cette epoque vous apparteneriez a la classe dominante ? Vos grand-parents n’etaient ils pas paysans ou tacherons comme la majorité des francais ?

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  10. A a37x,

    Toujours le même mépris pour les bacheliers et les universitaires d’aujourd’hui…
    Cessons de placer l’école de la IIIème République sur un pied d’estale, de faire des comparaisons qui ne tiennent pas.

    Et pour avoir lu quelques lettres de poilus, elles ne brillent pas particulièrement par leur orthographe ou leur structure, mais par l’émotion dont elles sont porteuses.

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  11. il y a toujours des gens qui pense que parce que l’on a un emploi peu qualifié que l’on ne sait pas ecrire.je connais des ingenieur qui font des fautes incroyables a notre epoque,voir des dirigeants de banque ou de grandes entreprises qui a defaut de bien ecrire ne savent pas compter il n’y a qu’a suivre l’actualité.

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  12. Il y a toujours des gens qui pensent que parce qu’on a un emploi peu qualifié que l’on ne sait pas écrire. je connais des ingénieurs qui font des fautes incroyables a notre époque, voire des dirigeants de banque ou de grandes entreprises qui à défaut de bien écrire ne savent pas compter, il n’y a qu’à suivre l’actualité.

    11 fautes… en cinq lignes : bravo, Monsieur le donneur de leçons. Vous devez être ingénieur ! 😉

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  13. Jancovici avait fait le calcul, de savoir combien nous avions gagné d’équivalent esclaves en passant à la motorisation actuelle:

    « 1 litre d’essence, qui contient 10 kWh d’énergie (à peu près), soit l’équivalent de la consommation de 2 « esclaves » pendant une journée complète »

    On a donc (cf image ci-dessous) plus de 100 « esclaves » par français aujourd’hui, uniquement avec nos usages de l’énergie!

    cf: http://www.manicore.com/documentation/esclaves.html

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  14. « sur un pied d’estale » : je suppose qu’il s’agissait d’un piédestal. Comme le certificat d’étude a été supprimé, personne ne pourra vous le refuser. Attention, a37x parlait des gens qui avaient le certificat d’étude, ce n’était pas la majorité des poilus qui avait réussi à décrocher ce diplôme. Difficile à croire, évidemment, en ces temps de 80% d’élèves reçu au bac ! Mais c’était la garantie d’un diplôme non dévalué. C’était d’ailleurs l’instituteur qui décidait des élèves qu’il présentait au certificat. Encore plus incroyable aujourd’hui, où une bonne proportion des étudiants sont incapables de suivre des études supérieures.

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  15. Belle anecdote en effet!
    Je n’ai peu etre pas tout a fait compris les conditions du discours. S’il s’agit bien d’un journal personnel, alors l’expression « un ordre social qui paraissait immuable se délite » me semble etre un anachronisme du langage. Proust pouvait-il ecrire cela? Je ne pense pas que la sociologie du debut du XXe siecle ait alors ete si diffusee. et encore moins son vocabulaire. Cette expression me parait si contemporaine.
    Bien cordialement

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  16. @Bap
    Vous écivez, je cite :
    « Quasiment n’importe quelle famille pouvait se permettre d’avoir du personnel de maison à cette époque bénie. De nos jours, cette facilité apparait comme un luxe inaccessible à l’extrême majorité d’entre nous. Par contre, dans le même temps, on verse des allocations à des centaines de milliers de gens inactifs.
    On se demande par quelle aberration nous en sommes arrivé à cette situation contre productive, il serait bien profitable de reconvertir ces inactifs en personnels de maison qui rendraient notre quotidien plus facile et nous libérerait du temps pour des activités à plus forte valeur ajoutée.  »

    Je partage tout à fait cette pertinente remarque. Aussi mon cher Bap, lorsque vous serez au chômage ou en faillite -éventualité tout à fait raisonnable par les temps qui courent, mais que je ne vous souhaite pas d’affronter- venez donc passé la serpillère chez moi. Si vous êtes suffisament servile alors peut-être vous donnerais-je un vieux croûton de pain.

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